Le Brésilien Socrates a marqué l'histoire de son pays par son talent et son style uniques, mais aussi par sa personnalité et ses prises de position parfois révolutionnaires. A l'occasion de l'anniversaire de sa naissance, le 19 février, FIFA.com retrace la carrière du "Docteur", disparu en 2011 à l'âge de 57 ans. 


La première chose que les supporters de Botafogo ont remarquée, c'est évidemment sa taille. Un rien dégingandé, le jeune homme de 17 ans culmine à près d'un mètre 90. Mais en le voyant toucher le ballon pour la première fois, ils ont immédiatement oublié son apparence inhabituelle. L'adolescent est beaucoup plus rapide qu'il n'y paraît, il sent le jeu comme personne et il ne doute de rien, comme en témoignent ses talonnades insolentes.

Des années plus tard, la légende du Brésil expliquera dans le livre Recados da Bola ("Histoires de ballon"), écrit par Jorge Vasconcellos, avoir développé cet aspect de son jeu davantage par souci de protection qu'en raison d'un quelconque sentiment artistique.

"Quand je suis arrivé à Botafogo, j'étais loin d'être aussi puissant que mes adversaires. Je me suis retrouvé en face de joueurs très bien entraînés et j'ai dû travailler d'autres points forts pour m'en sortir. J'ai très vite eu l'idée de jouer à une touche de balle. Dès que je recevais le ballon, je le passais à un coéquipier. Je savais que je n'avais aucune chance dans un duel physique. Mon corps n'était pas fait pour ça. J'étais grand et maigre. J'utilisais tout ce que je pouvais pour transmettre le ballon le plus vite possible : mon dos, mon genou, mon coude ou mon talon, qui est rapidement devenu ma marque de fabrique. C'était avant tout une question de survie. En cherchant à contourner un problème, je suis devenu un bien meilleur footballeur."

En l'espace de quelques années, la finesse du toucher de balle de Socrates est devenue célèbre dans le monde entier. Parallèlement, sa vivacité d'esprit et son intelligence lui ont permis de briller dans d'autres domaines, loin des terrains. Au début des années 80, il obtient son diplôme de médecin. Les supporters de Corinthians et du Brésil lui vouent un véritable culte.

Dans ce contexte, il n'hésite pas à peser de tout son poids pour étendre son influence bien au-delà des frontières du rectangle vert.

Alors que le Brésil vit sous la coupe d'une dictature militaire, Socrates prend la tête de la "démocratie corinthienne", l'un des plus grands mouvements révolutionnaires de l'histoire du football.

Il s'exprime en faveur du mouvement Diretas Já ("des élections libres maintenant") et prouve par la même occasion qu'il est désormais bien plus qu'un simple footballeur ; il est devenu un personnage clé de la société brésilienne.

"Socrates est un joueur unique dans l'histoire du football brésilien", estime Juca Kfouri, l'une des grandes plumes du journalisme sportif du pays, dans le film Ser Campeão é Detalhe : A Democracia Corinthiana ("Gagner n'est pas tout : la démocratie corinthienne"). "Je ne dis pas qu'il était le meilleur. Rien qu'à Corinthians, Rivelino était certainement plus doué. Pourtant, il n'a jamais eu son pareil, que ce soit en club ou en sélection."


Socrates le révolutionnaire



Socrates est un joueur créatif et très impliqué politiquement. Il a un temps d'avance. Très jeune, il se distingue de ses contemporains. À Botafogo, il parvient à convaincre ses dirigeants qu'il est capable de mener de front sa carrière de footballeur et des études médicales qu'il semble bien décidé à terminer.

Ses séances d'entraînement allégées ne l'empêchent pas de poursuivre sa progression. Il apparaît bien vite que les responsables du club ont fait le bon choix en autorisant leur prodige à poursuivre ses études. Quelques années plus tard, il quitte O Fogão avec son diplôme en poche et un statut d'icône. Il s'engage à Corinthians et, dans la foulée, reçoit une convocation pour disputer la Coupe du Monde de la FIFA, Espagne 1982™ avec la Seleção.

Promu capitaine par Tele Santana, Socrates forme un trio de génie avec Zico et Falcão. Les trois hommes sèment la panique dans les rangs adverses grâce à leur fluidité et à leur incroyable vitesse d'exécution, ponctuée d'innombrables talonnades. Malgré deux réalisations somptueuses contre l'URSS et l'Italie, il quitte la compétition en larmes.

Comme tous ses compatriotes, le génie vit la défaite contre l'Italie de Paolo Rossi comme un véritable camouflet. "Je ne me suis jamais senti aussi perdu que durant ces 30 jours", confiera t-il plus tard. Il peut toutefois se consoler en considérant qu'il laisse une marque indélébile dans l'histoire du football, en tant que meneur d'un groupe qui a su proposer un jeu chatoyant et associer quelques-uns des plus grands artistes de l'histoire du football brésilien.

"Cette équipe est l'une des plus belles qui n'a jamais gagné la Coupe du Monde. C'est une tragédie qui a sans doute contribué à nourrir la légende de cette sélection."


Socrates l'innovateur  



Au sein de cette équipe inoubliable, il développe les idées qui contribueront par la suite à déconstruire certains mythes du football brésilien. Il est aidé dans cette tâche par les liens étroits qu'il tisse avec d'autres fortes personnalités et par la liberté que Santana accorde à son groupe.

"Il était plutôt conservateur, mais c'était aussi l'entraîneur le plus démocrate que j'ai rencontré", dira de lui Socrates dans un entretien accordé à ESPN Magazine. "Il n'imposait jamais une formation ou un style de jeu. Il laissait l'équipe décider pour elle-même."

Aux côtés de Casagrande, Zenon et Wladimir, il applique la même philosophie révolutionnaire à Corinthians pour créer un système dans lequel les employés du club et les joueurs participent à toutes les décisions, du choix de l'heure des entraînements et des vols en passant par la fin des mises au vert. Les dirigeants prennent le risque de le suivre dans cette démarche audacieuse.

"Nous pensions différemment et nous n'acceptions pas la façon dont les choses se faisaient", soulignait Socrates. "Pourtant, nous n'aurions jamais imaginé lancer une révolution. Tout le monde disposait du même droit de vote. Le responsable des maillots et le masseur pesaient autant que le président. L'avis du troisième gardien comptait autant que le mien, alors que j'étais à l'époque le seul international. C'était tout simplement magnifique".

Entre 1982 et 1984, la démocratie corinthienne de Socrates décroche par deux fois le titre de champion de l'État de São Paulo. Mais elle remporte son plus grand succès loin des terrains. Les stars du club s'adressent désormais à une audience qui dépasse largement le cadre du football.

Socrates prend la parole lors de plusieurs réunions en faveur du mouvement Diretas Já. Il annonce même qu'il ne rejoindra pas la Fiorentina si les dirigeants du club renoncent aux changements mis en place à son initiative. Finalement, le système est maintenu et l'international part tenter sa chance en Italie.


Un héritage intact



Mais l'expérience tourne court. "C'était en réaction à la politique du pays. Je ne me sentais pas bien du tout là-bas. J'ai passé une mauvaise année à Florence et je suis rentré à la maison. Ma vie a toujours été au Brésil."

À 31 ans, il porte tour à tour les couleurs de Flamengo et de Santos. En 1986, Santana le convoque à nouveau pour participer à l'épreuve mondial mais, cette fois, le parcours du Brésil est interrompu par une défaite aux tirs au but en quart de finale, contre la France.

Le temps a passé depuis sa disparition en décembre 2011 mais l'héritage de Socrates reste intact. Original, révolutionnaire, brillant, il a vécu intensément sa carrière et porté avec fierté les couleurs d'un pays qu'il a toujours cherché à améliorer.

Comme son nom l'indique, Socrates Brasileiro Sampaio de Souza Vieira de Oliveira n'était pas seulement un grand footballeur. Il est aussi et surtout un grand Brésilien.