Dossier spécial ! Décès aux urgences, la faute à qui ?



La mission sur le décès d'une femme aux urgences de l'hôpital Lariboisière en décembre pointe une série de dysfonctionnements plus qu'une faute particulière. Le tout sous un manque réel de moyens. Nulle faute particulière ni défaut majeur d’organisation, mais plutôt le sentiment d’un système – celui des urgences – qui montre ses limites. En présentant ce lundi matin, les résultats de la «mission d’enquête sur le décès d’une femme de 55 ans dans...

Nulle faute particulière ni défaut majeur d’organisation, mais plutôt le sentiment d’un système – celui des urgences – qui montre ses limites. En présentant ce lundi matin, les résultats de la «mission d’enquête sur le décès d’une femme de 55 ans dans la salle d’attente des urgences de l’hôpital Lariboisière», le 18 décembre 2018, le professeur Dominique Pateron qui préside la collégiale des urgences de l’Assistance publique, l’a dit très clairement, bien qu’usant d’un langage administratif : «Notre mission a mis en évidence un certain nombre de non-conformités dans le processus de prise en charge de la patiente.» Un peu à l’image de notre système hospitalier, avec cette impression tenace d’un monde fatigué, manquant de moyens et de places, et qui peut craquer.

D’abord une image, celle des urgences de Lariboisière. 


Elles sont impressionnantes. Ce sont les plus fréquentées de Paris, voire de France. C’est un flot incessant de patients – plus de 230 par jour – avec une particularité liée au quartier : beaucoup de patients s’y rendent, souvent des gens perdus ne sachant pour certains pas trop où dormir, des précaires, des toxicos aussi avec la proximité avec la gare du Nord.

Et en même temps, dans cet espace, il y a ce que l’on fait de plus pointu : Lariboisière accueille le jour les urgences céphalées pour tout Paris et la nuit les urgences ORL pour toute l’Ile-de-France. Bref, c’est une petite foule, dense et fragile, qui fréquente chaque jour ce lieu trop petit où se mêlent urgences sociales et impératifs médicaux. Avec plus d’une vingtaine de médecins pour y faire face et une centaine de membres du personnel soignant.

Masque 


Comme le veut la procédure, c’est d’abord une infirmière d’accueil et d’orientation qui reçoit le patient ; elle l’oriente, soit pour une prise en charge immédiate quand l’urgence vitale est manifeste, soit vers un circuit long si cela nécessite des examens voire une hospitalisation, soit enfin un circuit dit court qui absorbe près des deux-tiers des malades. Ces derniers allant attendre dans une vaste salle souvent remplie à craquer.

C’est là que va donc arriver cette femme de 55 ans. Transportée au départ par une brigade des pompiers, elle n’a pu être au préalable prise en charge dans un centre médico-social du quartier. Elle est enregistrée à 18 h 50, puis orientée vers le circuit court, et installée sur un brancard avec un masque de protection simple. Ses troubles ?

Ils sont couverts par le secret médical, mais la femme semble souffrir de vertiges et de maux de tête. Ce jour-là, l’activité est soutenue, avec près de 250 passages. Il manque un médecin, et quand le praticien de garde prend son service à 18 heures, il y a 30 patients en attente dans le circuit court.

Que va-t-il dès lors se passer pour cette femme ? 


Rien. Tout le monde est débordé. Alors que l’infirmière se doit de faire des tours réguliers dans la salle d’attente, toutes les deux heures, elle ne peut le faire faute de temps.

Vers minuit, un agent se rend dans la salle pour faire partir les personnes relevant du social. Peu après, la dite patiente est appelée par le microphone, mais il semble que le nom prononcé, ayant été mal orthographié, ne soit pas tout à fait le bon.

En tout cas, personne ne répond. A 1 h 18, la patiente est déclarée «en fugue». Elle est pourtant là, sur son brancard. Vers 6 heures, alors qu’il reste encore une dizaine de personnes en attente, une infirmière la découvre, «face vers le mur, inanimée». Son décès sera confirmé dix minutes plus tard.

  «Non-vigilance» 


«Il est clair qu’il y a eu un problème de surveillance dans la zone de circuit court, a commenté, lundi, le professeur Pateron. Avec une activité très soutenue, les procédures n’ont pas été appliquées. Et quand il y a surcharge, on le sait, le délai d’attente s’allonge.»

Dans le dernier plan sur les urgences de 2014, l’Assistance publique prévoyait de diminuer de moitié le temps d’attente qui était alors de trois à quatre heures.

Aujourd’hui, avec la hausse continue des activités, le délai n’a pas vraiment diminué, et en plus, à Lariboisière c’est toujours une heure de plus que la moyenne.

«La situation y est lourde avec un quota de personnel inférieur à celui des autres services d’urgence», a insisté le professeur Pateron. Avec aussi une difficulté à trouver des lits pour hospitaliser ensuite les patients. Et enfin, faut-il le rappeler, l’hôpital Lariboisière est situé dans une zone où la médecine libérale est peu présente.» C’est tout ce contexte qui a provoqué ce moment «de non-vigilance».

Différentes mesures ont été recommandées par la mission, en particulier revoir «le circuit dit court» où le patient a juste besoin de voir un médecin. Mais aussi «revoir l’espace», manifestement trop exigu des urgences. La mission insiste sur la nécessité de «retirer toute une série de tâches administratives au personnel soignant».

Quant aux moyens, c’est bien sûr la question qui fâche. La mission propose très diplomatiquement «d’adapter les effectifs de personnel médical à l’organisation et aux besoins». Certes…

La direction de l’AP-HP a annoncé trois postes supplémentaires d’infirmiers, mais aussi deux postes de médecins supplémentaires en février 2019, mais formellement il manquera toujours quatre postes par rapport aux normes des services d’urgences.

Il n’empêche, en ces temps de rigueur à l’AP-HP, les gestes sont significatifs. Et la directrice de Lariboisière se montre très engagée. Reste que ces mesures immédiates peuvent donner l’impression d’être prises, avec toujours un train de retard.

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