VIH / SIda plus que jamais un problème de santé public en Afrique. Le Kenya mise sur l’autodépistage comme un nouvel outil dans la lutte contre le VIH. Dans le pays, 7 % de la population vit avec le virus. D’ici à 2020, quelque 5 millions d’autotests doivent être déployés en Afrique de l’Est.
« Connaissez-vous votre statut sérologique VIH ? »
La question est pour le moins abrupte et intrusive. Mais dans la banlieue populaire de Kasarani, à 16 kilomètres au nord-est de Nairobi, la capitale du Kenya, il n’est pas rare de se l’entendre poser depuis le lancement d’une campagne de sensibilisation à l’autodépistage du VIH, en mai 2017.
Sous l’égide du Programme national de contrôle des infections sexuellement transmissibles et du sida (Nascop), des travailleurs sociaux et des bénévoles de diverses associations sillonnent les quartiers, deux fois par semaine, à la rencontre des habitants pour leur fournir des guides de prévention et leur distribuer des kits d’autotest.
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Francis Kinyanyi est soudeur au marché de Kasarani. L’homme de 31 ans, à l’embonpoint remarquable, est jovial. Mais interrogé par deux bénévoles de Link Employment Initiative, une petite ONG locale, son visage se crispe.
Il refuse d’abord de répondre, hésite, puis finit par murmurer qu’il ne s’est jamais fait dépister. Tout comme une personne sur quatre au Kenya, le plus souvent les hommes, selon les statistiques nationales.
Les mêmes sources soulignent que 1,6 million d’individus vivait avec le VIH en 2018. Et l’épidémie du sida est la quatrième cause de mortalité dans le pays, avec 9 000 décès par an. Francis Kinyanyi finit par se laisser convaincre de se rendre à l’accueil de l’association, à quelques dizaines de mètres de son échoppe, pour des compléments d’information.
Un résultat en une vingtaine de minutes
Dans ce centre communautaire, un hangar de fortune abrité du vent et des regards indiscrets par des tôles et des draps, femmes, hommes et même quelques adolescents ont le choix entre deux dispositifs remis gratuitement.
Soit un test oral consistant à passer une spatule sur les gencives et à la plonger ensuite dans un réactif. Soit le prélèvement d’une goutte de sang sur un doigt. Les deux options permettent un résultat en une vingtaine de minutes.
Certains, plus timides, préfèrent emporter le kit à domicile, afin d’effectuer le test eux-mêmes en toute discrétion.
Cependant, « lorsqu’un test se révèle positif, il faut tout de même confirmer le résultat dans un centre de santé pour une plus large prise en charge », s’empresse de souligner Zachariah Khawai, responsable des pairs éducateurs de Link Employment Initiative.
L’association bénéficie du soutien logistique de l’ONG Population Services Kenya (PSK), qui met à disposition les kits distribués dans les quartiers. Fabriqués par une firme canadienne, ceux-ci sont aussi disponibles dans un réseau de 7 000 pharmacies pour la somme de 510 shillings kényans (4,50 euros).
Une somme non négligeable dans un pays où la moitié des 47 millions d’habitants vit en dessous du seuil de pauvreté, notamment dans l’agglomération de Nairobi.
« L’extrême précarité éloigne les personnes des centres de santé. L’objectif est d’aller trouver les plus défavorisés là où ils se trouvent et de leur proposer des outils de prévention ou des moyens de se soigner eux-mêmes gratuitement ou à moindre coût », commente Lucy Maikweki, responsable du département VIH à PSK.
Les propos de Mme Maikweki font écho aux débats de la Conférence internationale sur la population et le développement organisée dans la capitale kényane, du mardi 12 au jeudi 14 novembre, par les Nations unies.
Lors de ce colloque, les experts et les dirigeants de plus de 180 pays se sont engagés à développer davantage de stratégies pour aider les populations à prendre soin elles-mêmes de leur santé sexuelle et reproductive, qu’il s’agisse de la contraception ou du dépistage du VIH.
Plus de 260 000 autotests distribués
Thomas Wambui avoue ne pas être informé de cette réunion internationale. Mais il a souvent songé à se faire dépister du VIH, « sans toujours avoir le courage d’engager la démarche, même si les tests sont gratuits dans les hôpitaux ».
Le jeune homme de 18 ans, sans emploi, craint les réflexes de stigmatisation encore très présents à la fois dans la société et les services de santé autour de ces sujets. Alors il est venu au centre de Kasarani se procurer un kit. Mais il n’est pas encore au bout du chemin.
Si le test s’avère positif, Thomas devra se rendre dans une clinique. Est-il prêt à supporter une éventuelle mauvaise nouvelle ? Comment réagirait-il s’il découvrait être séropositif dans la solitude de sa chambre ?
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Ces difficultés expliquent probablement pourquoi sur plus de 260 000 autotests distribués à des hommes de 20 à 34 ans, entre janvier 2018 et mai 2019, seulement 7 000 auraient effectivement servi selon les estimations de PSK.
Un bilan mitigé dans un pays qui a pourtant ouvert la voie de l’autodépistage du VIH en Afrique australe, avant d’être suivi par le Malawi, la Zambie, le Zimbabwe ou l’Ouganda. Le Kenya est aussi le premier pays subsaharien à avoir introduit la PrEP (prophylaxie pré-exposition), un traitement préventif contre le sida.
D’ici à 2020, environ 5 millions d’autotests doivent être déployés en Afrique de l’Est. Une opération d’ampleur financée par l’agence de développement américaine Unitaid et le Fonds mondial de lutte contre le sida, et mise en œuvre par l’ONG Population Services International (PSI).
En attendant, un consortium incluant Unitaid vient de lancer un programme similaire de distribution de 500 000 kits d’ici à 2021 en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal, une région d’Afrique de l’Ouest où seul 64 % des 5 millions de séropositifs connaissent leur statut.
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La distribution massive de ces autotests, même fortement subventionnés, peut-elle suffire à enrayer l’épidémie du sida ? En Afrique australe, 11 à 27 % de la population active est séropositive.
« Cela ne peut devenir intéressant que si le système de santé est réellement amélioré, afin que les personnes dépistées positives aient ensuite accès au traitement nécessaire. Il faut aussi réfléchir à comment les protéger de la stigmatisation. Or, nous en sommes encore très loin, surtout pour les travailleurs du sexe et les personnes homosexuelles », décrit John Mathenge, coordinateur de Hoymas, une association de Nairobi spécialisée dans le soutien aux travailleurs du sexe et de lutte contre le sida.
« Cela doit rester une approche complémentaire à des politiques publiques de santé plus volontaristes », ajoute le militant LGBT.
Autrement, il est à craindre que le déploiement de ces kits, une idée de prime abord généreuse, ne finisse par être perçu comme un marché juteux pour les fabricants, dans un continent où l’infection au VIH est endémique.