Comment garantit-on la qualité de l’eau du robinet ? Faut-il en avoir peur et comment s’y retrouver ? Les réponses de notre spécialiste environnement Frédéric Denhez.
La question préoccupe et lors du colloque organisé par l’Agence de l’eau, il y a 15 jours, à Toulouse, il a été abordé le problème de la qualité de l’eau dans le Bassin Adour-Garonne.
On observe là-bas un cocktail de polluants pour le moins surprenant: du paracétamol, des anti-inflammatoires, des médicaments contre l’hypertension, l’épilepsie, le diabète et l’anxiété. Plus les molécules qui constituent les crèmes de soins corporels, et les gels douche, qui sont de grands polluants.
On y trouve aussi des résidus chimiques issus de détergents, de pesticides et d’herbicides dont le glyphosate et surtout un produit spécifique au maïs (le métolachlore) et… l’atrazine.
L’atrazine est pourtant un produit qui a été interdit en 2003 car quand on le pulvérise, c’est pour la vie. Il s’accumule dans l’eau ou dans les sédiments, tout au fond des rivières et dans les nappes phréatiques.
La chimie laisse des traces, est-ce grave, Docteur ?
A priori tous ces produits sont aux µg par litre, c’est-à-dire un sucre dans une piscine olympique, voire aux ng par litre – le même carré de sucre plongé dans 1 000 piscines olympiques, ce n’est donc pas grave.
97,8 % de la population française boit une eau qui respecte les normes microbiologiques, 92,5 % les normes pesticides et 99,4 % les normes nitrates.
A ces seuils, l’eau est considérée comme potable, pour autant, et c’est peut-être un autre problème, on ne cherche pas tout mais 500 molécules, c’est déjà pas mal.
On ne cherche pas par exemple les nanoparticules, il y en a pourtant plein les déodorants, ni les microfibres, alors que tout cela finit, par la douche et le lavabo, dans les rivières.
Certes les doses sont à chaque fois infimes mais les produits sont très nombreux. On craint que leur nocivité soit amplifiée par le nombre, voire par des interactions, on craint le fameux effet cocktail !
Impact sur le développement des bébés pendant la grossesse
Dans la région de Poitiers, la chercheuse, Marion Albouy-Llaty, a montré que les femmes buvant une eau moyennement chargée en nitrates et en dérivés d’atrazine durant leur grossesse, accouchaient de bébés ayant un poids inférieur à la normale.
En particulier lorsque l’eau est bue au cours du second trimestre. L’effet serait encore plus marqué pour les femmes vivant dans des endroits où l’air est très pollué, c’est-à-dire, comme par hasard, dans les quartiers les plus défavorisés… où on fume plus qu’ailleurs.
Ces travaux, et d’autres qui vont dans le même sens, ne permettent pas d’établir un lien de cause à effet, mais une corrélation. Ils ont tout de même éveillé le doute, car d’autres, conduits ailleurs en France, vont dans le même sens, ils nous disent que dans un corps affaibli par la cigarette et la pauvreté, l’eau du robinet chargée en « micropolluants » est un stress supplémentaire pour l’organisme.
Que dire aux habitants ?
Il faut quand même être rassurant, boire de l’eau du robinet, c’est sans risques avérés. Sauf évidemment si vous habitez en Bretagne où l’élevage des cochons fait qu’il y a beaucoup trop de nitrates.
Là-bas, vous êtes condamnés à boire l’eau en bouteille. Les nitrates se transforment dans le corps en nitrites (cf le jambon), lesquels peuvent s’avérer cancérogènes.
L’eau en bouteille est pleine de phtalates, de bisphénol, de nanoparticules et microfibres… de plastique tout aussi toxiques, à des doses infimes, certes. Surtout, elle coûte 200 à 300 fois plus cher au litre que l’eau du robinet ! Et même mille fois plus si vous l’achetez dans une gare.
En résumé, l’eau est propre, saine en France, plus qu’elle ne l’a jamais été. Sinon, nous serions tous malades, vu les 3 à 5 litres que l’on boit chaque jour. Une étude l’Anses a d’ailleurs montré que 1% seulement de notre exposition aux pesticides provient… de l’eau du robinet.
Une eau aussi propre, ça n’a pas toujours été le cas !
Il faut le rappeler pour relativiser, pendant des milliers d’années, l’eau était un des premiers vecteurs de maladies comme le choléra, par exemple, qui emportait chaque année des centaines de milliers de personnes.
L’eau était tellement « sale » qu’on la buvait moins que le vin, et que les moines ont inventé… l’eau-de-vie, pour ne pas mourir de boire. Dans l’alcool, beaucoup de bactéries ne survivent pas, ce qui n’empêche pas de boire avec modération.
Au cours du XIXe siècle, les égoûts ont tout changé. L’eau n’a plus fait peur car ce qui la contaminait – les bouses, les déchets, les matières fécales, l’urine etc. – a été éloigné de ses sources.
Aujourd’hui, grâce à la loi sur l’eau de 1992, les zones de captage sont strictement protégées.
Selon la nature des sols, la topographie, l’hydrographie, les agences de l’eau amènent les agriculteurs à ne pas pulvériser de produits à proximité, à passer au bio ou à éloigner leurs bêtes des points de captage.
Par exemple, dans le bassin Adour-Garonne, 72 % des captages sont ainsi protégés, soit 88 % du volume d’eau potable produit.
L’élevage ou l’agriculture : plus les seules sources de pollution
Le problème comme avec le Bassin Adour Garonne, c’est qu’il reste le problème des médicaments qui deviennent un facteur croissant de pollution. Un vrai souci car les stations de potabilisation ne savent pas quoi en faire.
Ils peuvent entraîner la féminisation de poissons et de mollusques mâles et une baisse de la fertilité chez les femelles… 85 % au moins des médicaments qui partent à l’eau, viennent… de nous ! On jette à la poubelle ou, pire, dans l’évier, alors qu’il faut rapporter à la pharmacie, reliée à une filière spécifique de recyclage des médicaments (Cyclamed).
Autre facteur de pollution de l’eau…
Il y a un autre problème qui vient aussi de nous, c’est les résidus de médicaments contenus dans nos urines. Les urines, c’est 1 % des déchets acheminés vers les stations d’épurations mais 65 % de la toxicité apportée par les micropolluants sont une grosse partie de médicaments.
Pour régler le problème, l’idée est aujourd’hui de récupérer nos urines par un réseau séparatif à la maison ou des toilettes sèches et donc de ne plus les jeter aux toilettes. Ainsi pourrait-on récupérer tous ces produits chimiques en filtrant les urines, et utiliser celles-ci comme engrais !
Un réseau séparatif à la maison pour récupérer le pipi, une filière spécifique pour à la fois le filtrer et en faire un engrais, des points de captage à protéger, plus des normes sanitaires qui s’alourdissent chaque année, va coûter de plus en plus cher aux petites communes qui n’ont pas les moyens pour cette eau potable.
Demain, le risque souvent évoqué par les agences de l’eau est que pour une question d’argent, il y ait une eau des villes bien propre et saine, et une eau des champs plus douteuse.