Mary Pierce en exclusivité : « Le Central de Roland-Garros est l’endroit que j’aime le plus au monde »
Mary Pierce en exclusivité : « Le Central de Roland-Garros est l’endroit que j’aime le plus au monde »
Mary Pierce en exclusivité. Vingt ans après son titre à Paris, l’ancienne numéro 3 mondiale ouvre son album souvenirs.
Mary pleine de grâce. Portée par sa foi, elle atteint la félicité le 11 juin 2000 Porte d’Auteuil. « Le meilleur moment de ma carrière », savoure-t-elle.
Roland-Garros, incontournable du printemps, devait débuter le 24 mai. Reporté en raison de la pandémie de Covid-19, les Internationaux de France devraient se disputer du 20 septembre au 4 octobre.
En attendant, Mary Pierce, 45 ans, se souvient. Il y a vingt ans, elle devenait la première Française à s’imposer dans les Internationaux de France depuis Françoise Dürr en 1967 : « J’ai l’impression que c’était hier. C’est passé trop vite », raconte-t-elle au Figaro.
Vingt ans après, quelle image gardez-vous ?
Mary PIERCE. – Le moment le plus fort, c’est la balle de match en finale face à Conchita Martinez. Toutes les émotions positives m’ont traversée en même temps. J’ai essayé de penser que c’était un point comme les autres. C’était magnifique de voir tout ce travail, toutes ces larmes, tous ces efforts, récompensés.
Quand j’ai gagné mon premier Grand Chelem (l’Open d’Australie, en 1995), j’étais évidemment très heureuse, mais gagner en France en tant que Française, devant mon public, c’était unique, quelque chose de fort, puissant, magique.
Quand avez-vous pensé : « Ce Roland-Garros est pour moi » ?
Quand j’ai gagné mon premier tour sur le Central (contre Tara Snyder), c’est comme si j’avais entendu une petite voix en moi qui me disait : « C’est peut-être cette année… » Je n’ai rien dit à personne, j’ai gardé ça pour moi. Et, finalement, c’était vrai, c’était mon année.
Gardez-vous encore des souvenirs précis de vos victoires contre Seles en quart, Hingis en demie et Martinez en finale ?
Je n’ai pas une très bonne mémoire d’une façon générale (sourires). Je me souviens de certains points, de certains moments, mais pas comme ceux qui se souviennent du score, du moment où ils ont breaké… Ce dont je me souviens le plus, c’est l’émotion et les moments forts sur le Central. C’est l’endroit que j’aime le plus au monde.
On imagine quand même que vous n’avez pas oublié ce fameux lob entre les jambes face à Seles en quart de finale
Oui, c’est le plus beau coup de ma carrière. Je le faisais parfois pour m’amuser à l’entraînement. Dans l’échange, elle me faisait courir de droite à gauche, et la balle, alors, arrive sur moi, et il n’y avait rien à faire d’autre qu’un coup réflexe.
J’ai sauté, tapé la balle entre les jambes. Je ne m’attendais pas à la toucher et que ce soit en plus un lob gagnant. Quand je revois les images, je m’étonne moi-même, je ne savais pas que je pouvais sauter aussi haut (sourires) !
Dans quel état d’esprit aviez-vous abordé la finale, six ans après votre finale perdue contre Arantxa Sanchez ?
J’étais jeune, en 1994 (19 ans), j’étais extrêmement nerveuse, je n’avais pas dormi. Puis, j’avais gagné l’Open d’Australie (1995) et disputé une finale (1997). J’avais donc une certaine expérience.
Je me suis dit : « Essaie d’être le plus détendue possible, pas stressée, de profiter de ce moment. » De toute façon, je ne peux pas contrôler si je joue bien et si je gagne, je peux juste prendre du plaisir sur le terrain, et le reste, c’est Dieu qui le contrôle.
Votre foi chrétienne vous a-t-elle aidée dans cette épopée ?
Le moment le plus fort de ma vie, c’est quand j’ai rencontré le Seigneur. J’ai été élevée dans la religion catholique, mais, en mars 2000, ma foi s’est approfondie, et c’est là où ma vie a complètement changé.
Mon cœur était guéri de toutes mes blessures du passé, et j’ai pu alors pardonner à mon père (décédé en 2017, cet ancien détenu avait été exclu des tournois pour des comportements régulièrement excessifs, NDLR).
Dieu m’a donné le talent de jouer au tennis, et je voulais faire le mieux possible pour le Seigneur. J’arrivais donc, cette année-là, à Roland-Garros avec un autre esprit, une autre mentalité, et ça m’enlevait beaucoup de pression et de stress.
Quelle a été l’importance de la présence de votre frère David ?
C’était mon coach, et c’est aussi grâce à lui que j’ai gagné le tournoi. Il m’a amenée à étoffer mon jeu et à mieux jouer sur terre battue. Il m’aidait aussi sur le plan mental et émotionnel, tout en me faisant rire tous les jours.
Il m’avait vu traverser les moments difficiles sur le court avec mon père. C’était fun et léger avec mon frère.Dans votre carrière, vous n’avez pas été épargnée par les blessures.
Lors de cette quinzaine où vous avez gagné le simple et le double, votre corps a pourtant tenu le choc…
Roland-Garros est très physique. J’étais très en forme. J’avais beaucoup bossé sur la force, la vitesse, l’endurance…
Mais j’avais eu une blessure juste avant le tournoi, et je ne savais pas trois jours avant si je pourrais le jouer ! Il y avait beaucoup de soins à faire avant les échauffements et après les matchs.
J’étais souvent la première arrivée et la dernière à partir du stade. Contre Hingis, en demi-finale, j’avais des crampes à la fin. On me faisait des perfusions pour récupérer, sinon je crampais partout…
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Cette année- là, vous l’aviez également remporté le double avec Hingis. Quelle partenaire était-elle ?
Martina est devenue une copine. J’étais contente de jouer avec elle. On s’est bien amusées. On s’entraînait ensemble, aussi avec sa maman, qui était très sérieuse, qui ne rigolait pas. J’ai appris beaucoup de Martina, sa manière de fonctionner, c’est une joueuse très intelligente sur le court, comme une joueuse d’échecs. Moi, je m’appuyais plus sur ma puissance et mon jeu offensif. Nos jeux se complétaient bien.
Le rapport avec le public parisien a changé en 2000. Il n’avait pas toujours été tendre avec vous…
Quand le public ou la presse n’étaient pas sympas avec moi, ça me faisait mal. C’était dur pour moi de me sentir pas aimée par les Français. Après, leur regard a changé et j’ai grandi et mûri. J’ai compris pourquoi le public était dur avec moi, et lui a vu que je faisais le maximum.
On disait : « Mary Pierce est française quand elle gagne et américaine quand elle perd. » Cela vous blessait ?
Il faut m’accepter comme je suis. Je ne suis pas cent pour cent française. Je suis née au Canada. J’ai grandi aux États-Unis.
Mon papa était américain. Ma maman est française. Mon père a choisi pour moi quand j’avais 13 ans. Je suis partie habiter en France, alors que je n’avais jamais étudié le français. L’anglais est ma langue maternelle.
Aujourd’hui encore, j’ai un accent et je fais des fautes quand je parle. La fédération américaine était prête à aider ma famille, à condition que je travaille avec un coach fédéral, et mon père a refusé.
Ma maman a alors demandé de l’aide à la fédération française, qui a répondu positivement. Je me suis entraînée au CNE à Paris, et, à partir de là, j’ai été fidèle à la France. J’ai vécu la moitié de ma vie aux États-Unis et la moitié de ma vie en France.
Je suis un mélange, et je pense que c’est ça qui fait ma force et qui me rend unique. Et j’arrivais à bien gérer mentalement la pression quand j’abordais Roland-Garros, ce qui n’était pas toujours le cas avec nos meilleurs joueurs ou joueuses…
Alors qu’on parle encore beaucoup du succès de Yannick Noah en 1983, on évoque moins le vôtre. Comment l’expliquez-vous ?
La France est un pays où les hommes comptent plus… C’est ainsi. Mais la dernière fois où la France a été titrée à Roland-Garros en simple, c’était moi. J’ai disputé trois finales (1994, 2000 et 2005). Quel est le représentant français qui a fait ça dans l’histoire du tennis moderne ?
Aujourd’hui encore, je ressens que je ne suis pas acceptée comme Mary la Française. Je ne le comprends pas. Dans L’Équipe Magazine qui va sortir samedi, en une, il y a une petite photo de moi et une grande de Guga (Kuerten, lauréat en 2000).
J’ai beaucoup de respect pour lui, mais ce n’est pas normal. Si c’était Amélie (Mauresmo) ou Yannick qui avaient gagné il y a vingt ans, on les mettrait encore en grande photo… J’ai joué pour la France toute ma carrière, gagné deux Fed Cup en 1997 et 2003 et disputé trois fois les JO…
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En raison du Covid-19, l’incertitude règne sur la tenue de Roland-Garros cette année. S’il se déroule à l’automne, l’imaginez-vous à huis clos?
Jouer à huis clos, en tant que joueuse, je n’aimerais pas. On a envie de jouer devant son public, dans un stade rempli. Mais je comprends aussi l’urgence. Les joueurs ont besoin de reprendre le travail…
Quel est votre regard sur le tennis féminin français actuel ?
Depuis Amélie et moi, sans oublier la victoire de Marion Bartoli (Wimbledon 2013), il n’y a pas eu de grands succès. Juste des éclairs avec Kiki (Mladenovic) et Caro (Garcia) en simple.
En double, elles ont été numéro un mondial, c’est dommage qu’elles n’aient pas continué à jouer ensemble. Je ne vois pas qui va prendre le relais, même si la jeune Diane Parry, a un jeu intéressant qui fait penser à Amélie (Mauresmo).
TOUJOURS IMPLIQUÉE DANS LE TENNIS
Retirée des courts depuis 2006, et entrée au Hall of Fame du tennis, la saison dernière, Mary Pierce fait partie du conseil d’administration de la fédération internationale. Même si son camp de base reste la Floride, où elle vient de passer son confinement, elle s’était installée en 2008 dans une communauté évangélique de l’île Maurice. Tout en préparant des projets humanitaires pour les enfants d’Afrique, elle a créé plusieurs tournois dans l’océan Indien et notamment entraîné des jeunes Mauriciens. En France, elle a été adjointe de Yannick Noah en 2017 pour la Fed Cup. Et c’est tout. Un regret ? «Seul Yannick Noah l’a fait quand il était capitaine de Fed Cup En raison du Covid-19,(2017-2018), Il avait besoin d’un œil pour suivre les joueuses sur les tournois, comme l’a fait Cédric Pioline avec les hommes en Coupe Davis.» Pour l’heure, la double lauréate en Grand Chelem a notamment comme projet un livre sur sa vie. « J’ai envie de faire quelque chose qui aura un impact dans la vie des gens et qui va toucher les cœurs. »
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