Témoignages de Foi > La nuit de la foi

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La foi n’est pas un long fleuve tranquille ! Avec l’âge, les doutes peuvent devenir prégnants au point que certains éprouvent une « nuit de la foi », ou essuient une grosse tempête. Une épreuve qui transforme, à condition de tenir la barre.

C’était en 1994, quinze jours après la mort de son père dont il était très proche. Un vendredi, le P. Éric Venot-Eiffel, carme âgé de 46 ans, s’allonge dans sa cellule du couvent d’Avon, près de Fontainebleau (Seine-et-Marne). Tout à coup, il se sent envahi par la nuit. « C’est plus que des doutes, raconte-t-il. Je ne sais plus où j’en suis.

Des questions me taraudent : Dieu existe-t-il vraiment ? À quoi sert de prier ? Ai-je bâti mon existence sur le vide ? »
C’est plus que des doutes, raconte-t-il. Je ne sais plus où j’en suis. Des questions me taraudent : Dieu existe-t-il vraiment ?
Cette épreuve (1) va durer dix-sept ans, pendant lesquels ce prêtre refuse de dire qu’il a perdu la foi, préférant la métaphore de la marée. « Ma foi s’est retirée comme la mer se retire, et je me sens comme une barque échouée dans la vase, attendant désespérément que la mer remonte pour flotter, poursuit-il. La foi est devenue inatteignable. Je n’ai plus accès à l’homme que j’étais. » Une telle nuit, des saintes comme Thérèse de l’Enfant-Jésus ou, plus proche de nous, Mère Teresa, l’ont connue.

Souvenez-vous de la stupeur du monde apprenant, en 2007, le « tunnel » dans lequel la sainte de Calcutta a passé les cinquante dernières années de sa vie. « Où est ma foi ? » interrogeait-elle dans une lettre à son confesseur, le 3 juillet 1959. « Tant de questions sans réponse vivent en moi. (…)

On me dit que Dieu m’aime et pourtant l’obscurité, la froideur et le vide sont une réalité si grande que rien ne touche mon âme. »

Certes, tout le monde n’est pas Mère Teresa, mais tout chrétien ayant rencontré le Christ et le désir de le suivre peut un jour connaître, si ce n’est une vraie nuit de la foi, un moment de crise. Les années passant, la foi est rabotée, voire malmenée par les épreuves de la vie : deuil d’un conjoint ou d’un enfant, chômage, divorce, maladie, vieillesse…
Ma foi s’est retirée comme la mer se retire, et je me sens comme une barque échouée dans la vase, attendant désespérément que la mer remonte pour flotter.
Et l’on peut être alors tenté de tout plaquer. Élevée dans l’idée qu’il fallait « gagner son ciel », très engagée dans l’Église, Brigitte, 55 ans, mariée et mère de quatre enfants, cochait toutes les cases de la « bonne chrétienne ». Au moment de La manif pour tous, elle a claqué la porte.

« Je me demandais où était le Dieu amour. » D’autres se découragent, comme Anne, célibataire à 50 ans : « J’ai agi et prié pour rencontrer quelqu’un, pour trouver ma voie professionnelle, pour que des personnes malades guérissent…

 Et silence ! Ces personnes sont décédées. Je n’ai pas eu de réponse, aucune confirmation. » Anne a cessé toute pratique.

Pour ne pas en arriver à cette extrémité, « il faudrait prévenir les jeunes adultes, les jeunes religieux et les séminaristes que les années houleuses de la quarantaine, ce n’est pas de la blague ! » suggère un religieux de 63 ans qui a lui-même connu une crise du milieu de la vie.

« J’étais en plein désert, commente-t-il. Toutes les modalités que j’avais choisies pour mener mon existence depuis l’âge de 20 ans ne tenaient plus. Je devais refonder ma vie. » Mais comment s’y prendre quand on se sent désorienté et que Dieu lui-même semble se dérober ?

  Parler à une personne de confiance 


« Il faut pouvoir objectiver ce qui vous arrive et vous dire que c’est normal », conseille ce religieux qui a trouvé chez les Pères du désert, ces moines d’Égypte des IVe et Ve siècles, le nom du mal dont il souffrait : l’acédie (2). Des saints sont passés par cette épreuve, d’autres personnes la vivent en ce moment même.

Contrairement aux apparences, nous ne sommes pas seuls dans cette histoire. Et si les mots paraissent difficiles à trouver pour dire ce que l’on ressent, on peut chercher dans les écrits de ces personnes ceux qui feront écho à sa propre situation.

 Le P. Éric Venot-Eiffel s’est ainsi identifié au prêtre du Journal d’un curé de campagne, de Georges Bernanos.

 Une fois les mots trouvés, reste à les partager avec une personne de confiance qui saura écouter. « Au début, j’ai essayé d’en parler à des frères de ma communauté, explique le P. Venot-Eiffel. Mais il est difficile de confier de telles choses à des personnes qui partagent votre vie quotidienne. Je ne pouvais pas non plus m’en ouvrir à mes amis. Ils me percevaient comme un homme de foi, un repère. J’avais peur de leur faire du mal. »
Je crois qu’il ne faut pas s’épuiser à vouloir tout comprendre. Dieu attend aussi de nous une certaine humilité dans ces moments-là.
^ Heureusement, au bout d’un an, un frère lui suggère d’aller rencontrer le P. Xavier Thévenot, un théologien moraliste et psychanalyste doté d’une grande humanité qu’il a eu pour professeur.

« Pendant deux ans, j’ai eu la chance de l’avoir comme accompagnateur spirituel. Je prenais des notes qui m’ont beaucoup aidé. Ensemble, nous émettions des hypothèses sur le sens à donner à cette épreuve, mais aujourd’hui encore, je ne le connais pas précisément, avoue-t-il. Je crois qu’il ne faut pas s’épuiser à vouloir tout comprendre. Dieu attend aussi de nous une certaine humilité dans ces moments-là. »

 L’accompagnement spirituel peut également permettre de clarifier la situation : s’agit-il réellement d’une nuit de la foi ? Pour sœur Rachel Guillien, ex-directrice du Centre spirituel Sophie-Barat à Joigny (Yonne), de nombreux retraitants pensent qu’ils traversent une nuit de la foi alors qu’il s’agit d’une forme de paresse spirituelle, ou d’une déprime. On peut y voir plus clair en s’interrogeant : quel est mon rythme de prière, ma vitalité intérieure ?
À mon heure d’oraison quotidienne, à la messe, je n’avais plus aucun goût de Dieu.
Cette situation de vide spirituel m’offre-t-elle des bénéfices secondaires ? Sœur Rachel a ainsi connu une sorte de dépression alors qu’elle étudiait à Bruxelles (Belgique) : « Un jour, j’ai vu un homme sans domicile grelotter sur un carton à côté de la terrasse chauffée d’un restaurant.

Cette double réalité m’a été insupportable ; à mon heure d’oraison quotidienne, à la messe, je n’avais plus aucun goût de Dieu. Rapidement, j’ai compris que je faisais une déprime. J’ai arrêté mes études et suivi un travail psychologique. À partir du moment où je suis sortie de cette déprime, ma vie de prière a repris des couleurs. »

  Trouver des points d’appui 


Quelle que soit la situation, il est important d’essayer de tenir et de trouver des points d’appui. En cessant toute pratique, Brigitte, la mère de famille de 55 ans citée précédemment, voulait rompre avec l’image du Dieu juge et un certain enseignement de l’Église qu’elle avait reçu.

Mais il lui fallait reconstruire. Encouragée par des amis, elle a suivi pendant deux ans une formation en théologie pour laïcs au Centre pour l’intelligence de la foi (Paris).

 De même, se couler dans la prière des autres peut s’avérer une aide. C’est ainsi que le P. Éric Venot-Eiffel vivait plus facilement les offices où il récitait avec les frères de sa communauté les mots des psaumes ou des hymnes.

« Quitter la prêtrise m’a traversé l’esprit, confie-t-il, mais je le ressentais comme une solution facile. Je me souvenais de ce qui m’était arrivé quand j’avais 23 ans, une sorte de coup de foudre pour Dieu.
Je continuais à dire la messe avec les mots auxquels je voulais croire…
Je continuais à dire la messe avec les mots auxquels je voulais croire. Au fond de moi, j’espérais qu’un jour la foi me soit redonnée. » S’intéresser à d’autres approches à la frontière entre la psychologie et la foi – l’ennéagramme, et l’évangélisation des profondeurs de Simone Pacot – l’ont également passionné pendant cette traversée.

Surtout, une parole de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, « Il ne me reste que l’amour », est devenue sa boussole. « Je n’avais plus accès à la foi, ajoute le P. Venot-Eiffel, mais je pouvais aimer les autres.

Ce qu’ils attendaient de moi dans l’écoute, l’accompagnement, la prédication de retraite, je le faisais au mieux par amour pour eux. »

 En définitive, il faut parier qu’au bout du tunnel se trouve la lumière. « J’étais enfermée dans un carcan, conclut Brigitte. J’ai découvert un Dieu beaucoup plus libre et proche. Aujourd’hui, je peux dire qu’il est là. »

En 2000, toujours dans la nuit, le P. Éric Venot-Eiffel a quitté les carmes pour devenir prêtre diocésain. Parce qu’il vivait une expérience extrême, il s’est alors tourné vers des personnes vivant une autre forme d’expérience extrême : la maladie du sida, la fin de vie. Il pouvait comprendre leurs questionnements de l’intérieur.
Je réalise que ce n’est plus moi qui prie. Un souffle en moi, léger, dit ces mots.
Aujourd’hui, il est aumônier de prison à Caen (Calvados). « Je n’aurais pas eu le courage de m’engager dans cette mission si je n’avais traversé cette nuit », reconnaît-il.

Il y a plus de sept ans, le 5 septembre 2011, alors qu’il commençait une année sabbatique par un pèlerinage, énième acte de foi, dans la cathédrale de Dol-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) appelée par les habitants « forteresse de prière », la foi lui a été redonnée, avec une fraîcheur nouvelle.

Dans la gratitude, il raconte au présent : « Assis devant le pupitre de la Parole, je prononce “Me voici Seigneur”, puis les mots de l’office du soir : “En tes mains, je remets mon esprit”. Tout à coup, je réalise que ce n’est plus moi qui prie.

Un souffle en moi, léger, dit ces mots, et cela pourrait durer des heures. » 1) Racontée dans J’ai tant douté de toi, Éd. Médiaspaul, 153 p. ; 18 € 2) Perte de joie spirituelle, entre dépression et nuit de la foi

  Trois questions à… 


Sœur Pierrette Lallemant, sœur de la retraite, animatrice de sessions pour les plus de 70 ans “La foi est un défi au grand âge”.

  Pourquoi une session pour les plus de 70 ans ? 


Il y a deux ans, à la sortie de la messe, deux personnes m’ont dit : « Tout ça, je me demande à quoi ça sert. Est-ce que j’y crois encore ? » À partir de 70 ans, on entre dans un temps où l’on vit surtout des pertes. La vie de foi peut aussi devenir plus difficile. Ce n’est pas forcément la nuit de la foi au sens où Mère Teresa l’a vécue. Mais pour beaucoup de personnes du grand âge, la foi est un défi.

  Lequel ? 


Il s’agit de poser un pas dans le vide. Beaucoup de personnes âgées n’expérimentent plus la foi comme un réconfort. Elles sentent moins la présence du Christ, leur prière s’appauvrit. Les questions de leurs enfants et petits-enfants qui arrêtent toute pratique les bousculent. Le doute prend davantage de place dans leur vie. Au regard de cela, l’acte de foi devient totalement gratuit.

  Quels moyens peuvent aider à poser cet acte ? 


Tourner les yeux vers Jésus, oser une parole de confiance. Je crois qu’il faut accepter que notre prière devienne pauvre, insignifiante : une invocation le matin, un signe de croix, une respiration qui remettent sous le regard de Dieu. Prendre le temps de regarder, être présent au présent. La vie spirituelle grandit encore dans la petitesse.

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