Le Récit sur la visite à Conakry du général de Gaulle, le 25 août 1958 est narré par Alfousény Magassouba dans cette rubrique. Du 25 août au 2 octobre 1958, s’est joué le destin de la Guinée, voire celui de l’Afrique toute entière. D’où l’importance particulière qu’il convient d’accorder à une courte période d’une quarantaine de jours notamment le moment déterminant du bref séjour à Conakry du Général De Gaule en périple dans les territoires français d’Afrique.
Récit sur la visite à Conakry du général de Gaulle, le 25 août 1958 !
Le discours que le Député-Maire de Conakry, Sékou Touré, à l’intention de prononcer trouble la quiétude de l’administration coloniale.
Celle-ci suspecte Sékou Touré de tenter un gravissime coup de théâtre devant le « libérateur » de la France et ne peut, en conséquence, cacher son inquiétude mais aussi (par censure) sa volonté de vider ce discours de sa substance et de son cachet historique.
Ce 25 août 1958 dans le salon officiel de l’aéroport de Conakry, quelques minutes après l’arrivée de De Gaule et de sa suite, l’entourage du Général est traumatisé par le discours que le Député, et Vice –président du Conseil de Gouvernement de la Guinée Française, en l’occurrence Sékou Touré… « risque » de prononcer devant le Général l’instant d’après.
Le projet de discours soumis par Sékou Touré donne des frissons aux collaborateurs de De Gaule qui lui font subir censures et amendements, moult rectifications et polissages.
Le tout dans le but de le rendre, pour ainsi dire, digeste et acceptable par l’homme du 18 juin dont la susceptibilité et l’orgueil ne sont un secret pour personne.
Mais c’est sans compter avec la force de caractère et l’intelligence de Sékou, qui se moque de leurs états d’âme. Le député guinéen (Sékou Touré) n’est pas d’humeur à se faire dicter de la conduite à tenir en pareille occasion.
Histoire de discours
Mettant en déroute ses censeurs, Sékou Touré dont l’éloquence et la pertinence coulent de source, est fermement décidé à prononcer un discours qui reflète la totalité de ses idées et de ses convictions mais également la voie dans laquelle il entend conduire la future République.
Le récit des échanges de l’entourage de De Gaule à l’aéroport de Conakry Gbessia, avant la cérémonie, est révélateur de la hantise que le projet de texte du Secrétaire Général du PDG-RDA a suscité.
Les moyens d’empêcher le bouillant syndicaliste doublé d’homme politique, de prononcer « son » discours, n’ont pu être trouvés, hélas ! Et le discours est demeuré dans l’histoire.
Sont présents dans la salle d’attente de l’aéroport de Conakry, les personnalités suivantes :
MAUBERNA :
Je vous remercie, Excellence, d’avoir convaincu le Général pour qu’il ajoute la Guinée Française sur la liste des territoires d’Outre-mer à visiter dans ce grand périple.
CORNUT-GENTIL :
Monsieur le Conseiller de l’AOF, j’espère que lors de votre transit, vous avez pu faire quelque chose dans le discours que Sékou veut présenter au Général dans le cadre du projet de la constitution ?
D’ARBOUSSIER :
j’avais eu à jeter un coup d’œil là-dessus dans le salon d’honneur, à l’aéroport, mes remarques et suggestions ont été les suivantes :
1°- de modérer le ton de son discours,
2°-quand Sékou a persisté sur le droit à l’indépendance, je lui ai dit ça ne valait pas la peine, que ce droit à l’auto-détermination qu’il ne cesse de réclamer avec orgueil, le Général l’avait accordé à Brazzaville pour toutes les colonies françaises. J’ai ajouté que, s’il tenait néanmoins, à le maintenir, de porter, alors, pour des raisons d’honnêteté historique, les références de Brazzaville.
CORNUT-GENTIL :
N’oublie pas que Sékou Touré sait autant que toi que la promesse d’indépendance aux colonies françaises faites par le Général De Gaulle à Brazzaville, en 1944 a trop patiné.
Moi, dans ce discours, je n’ai pu qu’attirer son attention sur le fait que le Général n’aime pas qu’on lui parle ou qu’on lui cite ces prédécesseurs, je veux parler précisément de Gérard Jacquet, ancien ministre de la France d’outremer, Sékou Touré a dit : « notre option fondamentale qui, à elle seule, conditionne les différents choix que nous allons effectuer, réside dans la décolonisation intégrale de l’Afrique, ses hommes, son économie, son organisation administrative ».
FOCCART :
Voilà des idées subversives que la censure ne doit pas tolérer dans la bouche de ceux qui sont appelés demain à diriger nos anciennes colonies !
CORNUT-GENTIL :
Dès le coup d’œil, j’ai vu dans ce discours que Sékou Touré cherchait la place du tribun, de l’homme prédestiné, du futur libérateur de la Guinée Française.
FOCCART :
J’avais pressenti, quant à moi, que Sékou Voulait travestir l’histoire, prouver à l’opinion guinéenne, africaine et internationale qu’il était le rédempteur de la lignée de Samory, « ce Roitelet impossible » qui résista 16 ans contre la pacification de ce pays.
D’ARBOUSSIER :
Dans la censure de ce discours, j’ai fait en sorte qu’on ne dise pas, demain, que Sékou, cet orgueilleux qui osa braver publiquement le Général De Gaulle, le chef le plus respecté de la France. (Les bagagistes passent avec les valises venues de l’aéroport et ressortent alors que le serviteur servait le Whisky).
MAUBERNA :
Je crois que vous avez compris l’homme qui veut paraître aujourd’hui, en soleil levant !
FOCCART :
Mais un soleil qui enténébrera, demain, l’horizon guinéen.
MAUBERNA :
Il vous a promis quand même de tenir compte, Monsieur le Conseiller, de ces critiques et suggestions ?
D’ARBOUSSIER :
Il ne pouvait que les accepter, puisque non seulement elles sont objectives mais aussi en ma qualité de conseiller de l’A.O.F j’ai en cours le véto de dire qu’aucun autre discours ne sera prononcé après ou avant celui du Général de Gaulle.
MAUBERNA :
Attention, Monsieur le Conseiller ! Vous avez eu à faire à l’homme le plus controversé que je n’ai jamais connu dans ma carrière administrative. Voilà un meneur, un manipulateur achevé qui, pour paraître ou gagner le terrain, n’hésite pas à clignoter à droite pour aller à gauche. Il nous a donné pas mal de fil à retordre ces temps-ci.
CORNUT-GENTIL :
Souhaitons alors qu’il respecte sa parole d’honneur. Au fond quel est ton pronostic face au « OUI » et au « NON » à la communauté franco-africaine ?
MAUBERNA :
Si Sékou dit « NON », les 95% des Guinéens diront « NON ». Si, par contre, il vote « OUI », les 95% des Guinéens voteront « OUI ».
CORNUT-GENTIL :
Tu veux dire, par-là, qu’il tient toute la Guinée en main, quoi ?
MAUBERNA :
Les guinéens ont aveuglement confiance en lui (Sékou Touré). C’est ce qui m’a empêché de l’arrêter quand il a commencé ses campagnes d’intoxication dans ce territoire.
D’ARBOUSSIER :
Mais, en quoi réside sa force pour avoir une telle mainmise sur tout ce territoire ?
MAUBERNA :
Il est très éloquent, sa force de conviction et son esprit d’analyse sont irrésistibles. Sékou est capable de faire du mensonge de la vérité, et de la vérité du mensonge avec les applaudissements frénétiques de l’auditoire.
FOCCART :
Alors, Monsieur le Gouverneur, si Sékou vote NON, tant pis pour la Guinée! Ce qui est clair, c’est que l’avenir des peuples d’Afrique ne dépendra, demain, que de la manière dont ils vont, dans ses instants critiques, couper le cordon ombilical qui les lie à la Métropole. S’ils se séparent en bon terme, l’indépendance aura des bases solides. Dans le cas échéant, c’est élever un château-fort sur du sable. (Un Secrétaire entre et dépose la copie censurée du discours de Sékou Touré).
LE SECRETAIRE :
De la part de Monsieur Sékou Touré, Vice-Président du Conseil du Gouvernement.
FOCCART :
Merci (et il jette un coup d’œil sur le document).
Le Secrétaire ressort de la salle.
FOCCART :
Dieu merci ! Cette fois-ci, il a été compréhensif avec nous. Il a tenu compte de toutes les remarques sur son projet (de discours).
CORNUT-GENTIL :
Dans quelques minutes nous serons à l’Assemblée, il est temps de rejoindre le Général à la résidence.
Ils se lèvent et sortent avec leurs sacs diplomatiques.
Référence :
Cheikh Tidiane DIOP, journaliste dépêche Diplomatique, numéro 09 Novembre 2008, PP 22 et 23.
Trois discours ont été prononcés :
–le discours de bienvenue du Président de l’Assemblée Territoriale de Guinée, Secrétaire Politique du P.D.G-RDA, Saïfoulaye DIALLO, qui a planté le décor, citation : «…. Monsieur le Président du Conseil, vous avez devant vous des patriotes résolus à travailler pour le bien-être matériel et moral de leur patrie africaine.
Nous sommes très à l’aise dans cette position, persuadés d’avance d’être bien compris par notre Hôte, le Général De Gaulle, le fervent patriote, l’homme qui incarna et anima la Résistance Française contre l’Allemagne victorieuse, enfin l’homme des mieux indiqués pour réaliser et admettre que d’autres puissent éprouver pour leur Pays, leur Patrie, les mêmes sentiments que M. le Président du Gouvernement éprouve lui-même vis-à-vis de la France…»
« Tout comme vous, nous avons foi en notre destin et confiance en l’avenir.
« Tout à l’heure, Monsieur le Président du Conseil de gouvernement de la Guinée vous exposera, dans ses grandes lignes, notre point de vue sur les problèmes de l’heure »;
– le discours d’orientation du Président du Conseil de Gouvernement de Guinée, Secrétaire Général du P.D.G-RDA, Sékou TOURE, qui a précisé la position guinéenne face à ladite communauté en ces termes, citation: «…. Nous avons, quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre dignité. Or, il n’y a pas de dignité sans liberté, car tout assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur qui elle pèse, lui retire une part de sa dignité d’homme et fait arbitrairement de lui un être inférieur. Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage.
….Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir, sans hésitation, l’interdépendance et la liberté dans cette union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France… » Et enfin,
-le discours-réponse du Président du Conseil de Gouvernement de France, le Général De GAULE, citation : « Cette communauté, la France la propose, personne n’est tenu d’y adhérer. On a parlé d’indépendance, je dis ici plus haut qu’ailleurs que l’indépendance, est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre, elle peut la prendre le 28 septembre en disant ‘’NON’’ à la proposition qui lui est faite et dans ce cas je garantis que la Métropole n’y fera pas obstacle. Elle en tirera, bien sûr, des conséquences, mais d’obstacles elle n’en fera pas et votre Territoire pourra, comme il le voudra et dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra ».
Pierre Mesmer, Haut-Commissaire de France, rappelle quelques instants après les discours du 25 Août 1958 à Conakry : « dès que nous rentrons du palais, De Gaulle convoque dans son bureau, le Ministre, le Gouverneur et moi et déclare :”Nous n’avons plus rien à faire ici (en Guinée). Le 29 Septembre 1958, la France s’en ira”. Cornut Gentil, qui, malgré sa sensibilité, n’a pas encore compris que le Général ne pardonnera pas une insulte faite à la France qu’il incarne…..
Sékou Touré y vient, impassible, et salue De Gaulle qui le prend à part et lui dit :“ la République Française à laquelle vous avez à faire n’est plus celle que vous avez connu et qui rusait plutôt que de décider….La France a vécu très longtemps sans la Guinée. Elle vivra très longtemps encore si elle en est séparée….“ »
Après tant de batailles : Mémoires, 1992, Pierre Mesmer
Monsieur X, un ancien agent du (SDECE) Service de Documentation Extérieur et de Contre Espionnages français, Co-animateur de l’émission ‘’Rendez-vous avec Monsieur X’’, publié dans le journal Horoya n° 7836 du jeudi 18 oct. au lundi 22 oct. 2018 page 3, cite : « Ce qui est explosif dans ce discours (du 25 août 1958 de Sékou TOURE), c’est le ton, violent et quelques particulièrement provocatrices ; je vous cite seulement une ‘‘Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage’’».
Pour le Général De Gaule, c’est l’ensemble de son œuvre en Afrique que l’on attaque et son projet de Communauté qu’il propose aux africains. Il comprend que Sékou TOURE appellera les guinéens à voter ‘’non’’. Il prend cela comme un affront. Et dans sa réponse, il va revenir sur ce qu’il a déjà dit dans les autres territoires visités. Mais, son cœur n’y ait pas. Qu’est-ce qu’il faut dire à une foule toute acquise à celui (Sékou Touré) qu’il considère désormais comme son adversaire. La suite de la visite sera d’ailleurs glaciale. Et quand le cortège du retour s’ébranle pour l’aéroport, les rues sont quasi désertes et hostiles. La rupture n’est pas officiellement consommée…
Donc pour le Général De GAULE, la Guinée a choisi l’indépendance contre la France. Et conséquemment tout doit être mis en œuvre pour se débarrasser de Sékou Touré. Cela commence par les mesures monétaires. Avant même le référendum, le Haut-Commissaire de l’AOF, Pierre Mesmer organise une véritable opération commando pour récupérer les milliards de CFA qui se trouvaient dans une succursale de la banque à Conakry avec l’intervention des parachutistes et de la marine. » A suivre dans le prochain article !
Professeur Aimé Césaire, célèbre poète et homme politique français martiniquais, disait, citation : « Ce qui se passe aujourd’hui en Guinée, ce n’est pas seulement le sort de la Guinée qui s’y joue, c’est le sort de l’Afrique.
Jamais aucun pays n’a eu, comme la Guinée, le devoir d’infirmer une telle vue, de prouver que la communauté humaine qui s’appelle la nation est médiation vivante à la liberté et à la fraternité »
Pour terminer, l’invite est faite aux élites intellectuelles de la Guinée, de faire beaucoup attention à l’effacement mémoriel, car, Seule la vérité historique sans partie pris peut nous unir.
Que Dieu le Tout puissant, bénisse et protège les guinéennes et guinéens, Amen !
Conakry, le 28 décembre 2019
D.P – KURU KAN FUGA/ Alfousseny MAGASSOUBA
Tel : 628617139 /657207259 /661509170