Quelque 466 millions de personnes dans le monde souffrent d’une déficience auditive handicapante, dont 34 millions d'enfants. Ce 23 septembre, la Journée mondiale de la langue des signes est consacrée à la sensibilisation sur la surdité et la présentation de la culture sourde. Dans de nombreux pays africains, la sensibilisation générale envers la déficience auditive est faible, et le manque de ressources entraîne un manque de programmes de dépistage auditif.
La déficience auditive peut être due à des causes génétiques, à des complications à la naissance, à certaines maladies infectieuses ou infections chroniques de l'oreille, à l’utilisation de certains médicaments, à l’exposition à un bruit excessif ou au vieillissement.
En Afrique, et particulièrement dans les pays au sud du Sahara, la rougeole, l’otite et certaines infections bactériologiques constituent les principales causes de surdité chez les enfants. Selon une étude récemment publiée dans la revue The Lancet, entre 20% et 25% des enfants africains sourds le sont à cause d’une méningite mal soignée, et environ 10% du fait de la rougeole.
L’Afrique de l’Ouest manque cruellement de structures permettant la prise en charge des personnes malentendantes. Quelques instituts existent mais il faut les équiper et avant toute chose, les pourvoir en personnel qualifié. Il n’existe ainsi que sept orthophonistes au Burkina Faso. La profession d’orthophoniste en Afrique reste naissante et encore peu connue du grand public africain.
Au Burkina, on utilise la langue des signes américaine
Selon Justin Dabiré, ancien chef de la section Orthophonie du CEFISE (Centre d’éducation et de formation intégrée des sourds et entendants) à Ouagadougou, où il exerce désormais au sein de son propre cabinet, le premier problème rencontré dans la prise en charge des enfants sourds est l’analphabétisme.
« La prise en charge des personnes souffrant de déficience auditive passe à un moment par l’utilisation de la langue des signes. Quand la personne n’est pas allée à l’école, donc ne sait pas lire, parfois nous sommes limités dans certaines actions. Deuxièmement, il y a l’appareillage : toutes les personnes avec une déficience auditive n’y ont pas accès. Non seulement par rapport à la connaissance de l’existence de l’appareillage, mais aussi par rapport au coût. Pour l’instant au Burkina, on n’est pas au stade de l’implantation des prothèses auditives ».
Son expérience au CEFISE a permis à Justin Dabiré de se familiariser avec la langue des signes, mais la plupart des orthophonistes ne la maîtrisent pas très bien. « La langue des signes est seulement apprise par une très petite minorité de la communauté des personnes sourdes, en fait cela concerne les personnes qui sont allées à l’école. Certaines écoles enseignent la langue des signes. En dehors de l’école, il n’y a pas de cadre formel pour apprendre la langue des signes », confie le praticien. Au Burkina, contre toute attente, c’est la langue des signes américaine (LSA) qui est en vigueur.
« On n’est jamais un très bon locuteur des signes quand on est entendant »
Un immense travail a néanmoins été fait au Burkina pour établir et structurer une langue des signes, avec l’établissement d’un dictionnaire qui mélange la LSA et des signes traditionnels qui étaient utilisés dans les villages.
« C’est l’œuvre du pasteur burkinabè Abel Kafando, un homme extraordinaire que j’ai eu la chance de connaître » se souvient Élizabeth Sépulchre, une orthophoniste française qui au sein de l’association Orthophonistes du monde a réalisé plusieurs missions d’aide et d’assistance en Afrique.
La LSA est la plus répandue au Burkina, explique-t-elle, car les premières écoles des enfants sourds en Afrique de l’Ouest ont été créées par des pasteurs américains au milieu du XXe siècle. « La LSA n’est pas trop différente de la LSF, la langue des signes française, on arrive à se comprendre, ce n’est pas trop un problème », précise-t-elle avant d’ajouter que « l’on n’est jamais un très bon locuteur des signes quand on est entendant ».
Mais toute diffusion d’une langue des signes est compliquée, car la langue évolue, donc les dictionnaires de langue des signes doivent être en vidéo, c’est ce qui est le plus facile pour la transmission. Internet et tous les moyens dématérialisés de transmission aident vraiment beaucoup et aideront de plus en plus à la diffusion de ces moyens de communication, estime Élizabeth Sépulchre.
Adaptation à la culture béninoise
Si les moyens de communication dans la prise en charge de l’enfant sourd restent complexes, les orthophonistes africains s’efforcent d’adapter leurs connaissances au terrain, ce qui n’est jamais simple quand tous les outils et tests d’évaluation reflètent une culture française plutôt qu’africaine. Une difficulté supplémentaire que Daniel Affo, orthophoniste béninois établi à Cotonou, s’est employé à contourner.
« Selon la compétence à évaluer, nous utilisons des tests européens. Je suis parvenu à mettre en place un test d’évaluation pour enfants déficients auditifs scolarisés avec la collaboration d’une collègue orthophoniste française, en 2018. Dans ce test j’ai actualisé au contexte béninois. Il y a des images qui peuvent être présentées aux enfants et ce ne sont pas forcément des images qu’ils connaissent dans la culture béninoise. Par exemple avec l’image d’une cerise, qu’il faut remplacer par un fruit local ».
C’est aussi le constat effectué par Justin Dabiré au Burkina : « J’utilise le T.E.R.M.O (Test d'évaluation de la réception du message oral par l'enfant sourd) mais il n’existe pas à ce jour de test ou de batterie adaptée au contexte culturel des populations. Le T.E.R.M.O vient de France, mais on ne peut pas passer tous les items du test, car il y a des mots qui semblent un peu étrangers ici au Burkina, surtout pour un déficient auditif avec un lexique réduit. Nous n’avons pas encore de matériel propre à notre culture ».
« Quand il y a la maladie, on préfère tourner la tête »
À Ouagadougou comme à Cotonou ou ailleurs en Afrique de l’Ouest, le facteur socio-culturel demeure le frein le plus important à une bonne prise en charge des enfants frappés de déficience auditive. « Le taux d’alphabétisation au Burkina tourne autour, je crois, des 80%, et il n’est pas rare de rencontrer des patients qui ne sont pas allés à l’école. Souvent ça pose problème dans la compréhension par les parents de ce que nous voulons faire avec les patients. Autre problème, nous recevons tardivement les patients, ce qui relève encore des habitudes. Quand il y a la maladie, on préfère tourner la tête… Parfois ils ne savent pas où aller, ils vont dans le mauvais centre. Ils n’arrivent vers nous orthophonistes que tardivement », explique Justin Dabiré.
« La principale difficulté, c’est quand les parents n’arrivent pas à payer la rééducation sur une longue durée, pointe Daniel Affo. Même sur les périodes de vacances quand les écoles ferment, à la reprise les séances d’orthophonie doivent souvent repartir à zéro. Rien n’est remboursé, les parents payent eux-mêmes mais parfois ils doivent arrêter les séances, que ce soit en milieu scolaire ou en centre de soins ».
Quel est l’objectif des missions menées par Orthophonistes du monde en Afrique ?
Orthophonistes du monde n’intervient qu’en réponse à des demandes d’associations ou de professionnels. Nos interventions diffèrent en fonction de la demande. Elles ont essentiellement pour but la formation des professionnels qui interviennent sur place auprès des personnes sourdes, enfants ou adultes. La surdité est une partie pas négligeable de nos interventions. Nous aidons des professionnels à mettre en place tout ce qui va les aider à faire acquérir une langue, souvent dans un contexte de bilinguisme, c’est-à-dire la langue des signes d’une part qui est leur langue naturelle et puis dans la mesure du possible un accès à la langue orale ou écrite.
Quand on reçoit une demande de mission, on prend beaucoup de temps en amont pour échanger avec les demandeurs, afin de comprendre ce dont ils ont besoin et pour voir si nous pouvons répondre en partie à ces besoins. Les orthophonistes qui partent en mission sont toujours bénévoles, ce sont des missions courtes qui sont répétées éventuellement. On part généralement à deux orthophonistes sélectionnés par le comité directeur en fonction de leurs connaissances relatives à cette mission. Nous pouvons intervenir dans d’autres domaines que celui de la surdité.
Quel constat général faites-vous à la lumière de vos missions ?
Ma dernière mission, l’an dernier aux Comores, m’a permis de constater que la situation là-bas est bien plus difficile que dans certains autres pays d’Afrique. Car il n’y a aucune école dédiée aux enfants sourds, ni d’ailleurs porteurs d’autres handicaps. En partenariat avec Unicef Comores, nous avons fait depuis plusieurs années un travail d’information et de sensibilisation des enseignants dans les trois principales villes de l’archipel, autour des handicaps en général et autour de la surdité en particulier. Pour réfléchir aux moyens de transmission du savoir à des enfants qui n’entendent pas. C’est un début de travail qui doit se poursuivre dans les années à venir.
La surdité est souvent dépistée très tardivement par rapport aux pays européens, et prise en charge tardivement ou pas prise en charge du tout. Pour qu’une surdité soit prise en charge, il faut que les parents de l’enfant sourd déjà puissent avoir accès à un C.H.U, à un hôpital, un centre de dépistage, où la surdité pour effectivement être avérée et distinguée d’autres problématiques.
Je me souviens avoir vu au Togo dans un centre pour enfants souffrant de déficiences mentales des enfants qui étaient en réalité des enfants sourds, non-dépistés. Faire mesurer l’audition d’un enfant dans certains pays africains, notamment loin des grands centres, est bien plus difficile qu’en France.
Une note d’espoir dans la prise en charge des enfants sourds en Afrique ?
Les choses changent énormément car maintenant il y a des orthophonistes qui sont formés, comme à l’ENAM de Lomé au Togo, et qui font à la fois le travail de prévention, de dépistage, et de prise en charge précoce. Ils sont encore peu nombreux et bien entendu le travail est énorme. Lors de mes premières missions en Afrique il y a 20 ans, les choses étaient différentes. Sur le terrain il y avait très très peu d’orthophonistes, et très peu de professeurs spécialisés pour les jeunes sourds.
Mais toute diffusion d’une langue des signes est compliquée, car la langue évolue, donc les dictionnaires de langue des signes doivent être en vidéo, c’est ce qui est le plus facile pour la transmission. Internet et tous les moyens dématérialisés de transmission aident vraiment beaucoup et aideront de plus en plus à la diffusion de ces moyens de communication.