C'est Voltaire qui disait que le journalisme est le métier le plus difficile du monde, car il s'agit d'écrire l'Histoire au quotidien. Je paraphrase. Cette pensée, juste et fondée, oubliée depuis longtemps par les chaînes d'information continue, prend tout son sens dans la couverture occidentale des élections en Iran et des événements qui ont suivi.
Bien malin serait celui ou celle qui aujourd'hui saurait nous dire ce qui se passe exactement dans ce pays qui se voile sous une sorte de burqa et dont les médias cherchent désespérément les yeux derrière le grillage de toile. Nous ne savons plus rien. Pourtant, nous avions presque tout prédit.
Quelques jours avant l'élection, les médias occidentaux étaient unanimes. Une vague de fond pour le changement semblait se transformer en marée triomphale. On évoquait une victoire du «réformiste» Moussavi au premier tour.
La liberté de parole qui se manifestait à Téhéran, l'audace des partisans de Moussavi, l'ampleur des rassemblements de l'opposition, tout cela impressionnait. On évoquait les révolutions pacifiques, l'orange ou celle de velours.
Il faut rappeler ici que tous ces reportages provenaient de Téhéran, que les personnes interviewées étaient généralement des jeunes vêtus à l'occidentale, parlant un bon anglais, ou encore des étudiants, des journalistes, des commerçants menacés par les politiques économiques désastreuses d'Ahmadinejad.
L'interlocuteur du journaliste occidental était l'Iranien qui partageait les mêmes valeurs et surtout le sentiment que le démagogue antisémite était l'incarnation du mal et d'un danger qui menace la planète.
Souvent, le journaliste à l'étranger perd son devoir de réserve, il fait la chronique de ce qu'il souhaite, privilégie un avenir qu'il aimerait. Et dans un pays comme l'Iran, profondément meurtri historiquement par les interventions étrangères, russe, turque, anglaise, américaine, ou un pays comme Israël, profondément schizophrène, le journaliste ne trouve comme interlocuteurs que ses semblables. De là à croire que ceux-ci représentent le pays, il n'y a qu'un pas.
Aujourd'hui, qui peut expliquer, sinon raconter des généralités? Lundi 15 juin, ils étaient un million dans les rues dénonçant la fraude électorale. Jeudi, quelques dizaines, quelques centaines peut-être.
Que s'est-il passé et que se passe-t-il maintenant?
Nous ne le savons pas, mais, convaincus qu'il faut continuer à parler de l'Iran, nous essayons de remplir des colonnes de caractères et des plages d'images qui se font de plus en plus rares. Même les portables, les BlackBerry, les iPhones n'offrent plus rien pour nourrir les CNN de la planète. Le pays s'est refermé comme une huître.
Que savons-nous?
Il existait dans une large partie de la population une volonté de changement. Le score attribué au président sortant est certainement exagéré. On a réprimé brutalement des manifestations et arrêté plusieurs membres de l'opposition.
Voilà ce que nous savons.
Ce que nous ne savons pas. Nous ne connaissons même pas les résultats de l'élection. Aucune preuve de fraude n'a été mise en avant, seulement une conviction profonde. Nous ne savons pas comment les régions rurales ont voté. Nous ne savons pas non plus dans quelles régions se fait le recomptage partiel et personne n'assiste à ce recomptage.
Nous savons que le véritable gouvernement iranien réside dans les mains de l'ayatollah Khamenei et nous savons que le Guide suprême est nommé par l'Assemblée des experts, dont le président est Hachemi Rafsandjani, qui fut battu au deuxième tour en 2005 par Ahmadinejad. De là à penser qu'une lutte de pouvoir se joue actuellement dans la branche théocratique du gouvernement iranien, voilà un autre pas que nous avons franchi. Peut-être avec raison, mais sans informations solides.
Dépourvus d'informations, les médias occidentaux sont condamnés à la supputation et à utiliser Twitter ou Facebook. À propos de supputation, voici la manchette du Figaro de Paris de samedi dernier: «Journée décisive pour la liberté. Mise au défi par l'ayatollah Khamenei de poursuivre sa contestation du résultat de la présidentielle, l'opposition prévoyait se rassembler aujourd'hui dans la rue, malgré sa crainte d'un bain de sang.»
Il y eut quelques manifestations, une répression violente, mais pas de bain de sang. Une fois les journalistes occidentaux expulsés, Twitter et Facebook devinrent les seules sources d'information des grandes télévisions occidentales. Mais voilà, rien n'est vérifiable. Les images peuvent être facilement falsifiées, les messages de détresse et de dénonciation peuvent n'être qu'inventions.
On ne peut pas construire une couverture événementielle en se référant à des blogues ou à une sorte de «révolution citoyenne» à l'aide de téléphones portables. C'est pourtant de ces miettes d'informations incertaines que CNN a tenté de se nourrir toute la semaine pour expliquer aux Américains qu'un grand mouvement se dessinait en Iran.
Taisons-nous, attendons.
Nous sommes dans l'ignorance absolue. Attendons, étudions, réfléchissons, entre autres sur les erreurs passées de l'Occident à l'égard de l'Iran. Le renversement de Mossadegh, l'appui à l'Irak dans cette guerre qui tua un million d'Iraniens dont les veuves votent pour Ahmadinejad.
Nous découvrirons peut-être que ce Moussavi, que la presse internationale appelait de tous ses voeux, veut bien que les femmes ne portent pas le voile, mais croit lui aussi avoir droit à la bombe.