Un quart de siècle après le génocide rwandais, certains orphelins cherchent encore désespérément les repères pouvant les aider à retrouver des traces de leurs parents.
Oswald a été emmené par une jeune femme qui l'a trouvé au milieu de plusieurs cadavres à Kigali, la capitale du Rwanda. Il tentait de téter le sein d'une femme qui était déjà morte.
Oswald était âgé d'environ deux ou trois mois et faisait partie des nombreux enfants rwandais dont on ne connaissait pas le nom, ni la date de naissance ou les parents, au terme de la centaine de jours qu'a duré le génocide, déclenché à partir du 7 avril 1994.
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Au moment où le pays commémore cet événement, Oswald et d'autres jeunes - hommes et femmes - scrutent les foules, se demandant si des membres de leur famille étaient parmi les survivants de la tragédie, qui a coûté la vie à environ 800 000 personnes.
"A 50 %, je pense que mes parents sont morts. A 50 %, je pense que je peux encore les retrouver", dit Oswald.
Il fait partie des quelque 95 000 enfants orphelins - une estimation de l'Unicef - qu'aurait engendré le génocide, qui a commencé quelques heures après que l'avion transportant le président rwandais de l'époque, Juvénal Habyarimana, a été abattu.
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La femme hutu qui l'a tiré des cadavres, Joséphine, a perdu son mari pendant le génocide. Il a été tué par des extrémistes pour avoir essayé d'aider des Tutsis, l'ethnie ennemie des Hutus lors des massacres.
Joséphine a été violée par des Interhamwe, la milice qui a tué de nombreuses personnes durant le génocide. Elle a été infectée par le VIH également.
Malgré cela, elle a trouvé de la place non seulement pour Oswald, mais aussi pour d'autres enfants qu'il a élevés comme si elle les avait mis au monde.
Mais en grandissant, Oswald a commencé à sentir qu'il lui manquait quelque chose. "Quand je voyais des enfants aux côtés de leur parents, je pensais aux miens", raconte-t-il à la BBC.
Selon l'Unicef, le génocide rwandais a rendu orphelins 95 000 enfants.
Pour Jean-Pierre, la recherche des siens consiste à repérer des visages dans la rue. "Quand je vois quelqu'un qui me ressemble, j'ai l'impression que c'est un parent", dit le jeune homme qui croit être âgé maintenant de 26 ans - sans certitude.
La méthode, croit-il, a peut-être porté ses fruits. Jean-Pierre a récemment vu une femme qui lui ressemblait et s'est approché d'elle pour en savoir plus. La femme dit avoir perdu un frère pendant le génocide, un petit garçon qui devrait avoir à peu près l'âge de Jean-Pierre maintenant.
S'entraider
"Quand j'ai rencontré Maman Asalia, j'ai été touché, dit-il. J'ai senti que c'était ma sœur avant qu'elle ne se soit présentée."
Ils restent tous les deux en contact, bien qu'ils n'aient aucune preuve réelle de leurs liens de sang. Et ils n'ont pas les moyens de faire un test ADN.
Et si Maman Asalia n'était pas sa sœur ? Jean-Pierre répond à la question par un haussement d'épaules.
Oswald et Jean-Pierre, ainsi que leur ami Ibrahim, ont décidé de s'entraider et de venir en aide aux autres orphelins du génocide. Ils ont mis sur pied une association dédiée à cette initiative.
Jean Paul (à gauche), Ibrahim (au centre) et Oswald sont déterminés à s'entraider et à venir en aide aux autres orphelins du génocide.
Ibrahim a écouté ses deux amis raconter leur histoire. Comme eux, il ne sait pas avec exactitude quel âge il a : peut-être 25 ans ! Il devine.
Ibrahim ne connaît même pas les noms de ses parents. On les lui rappelle chaque fois qu'il doit remplir des formulaires officiels.
Contrairement à Oswald et Jean Pierre, il ne croit pas que ses parents soient en vie parce qu'il souffrait de malnutrition quand les soldats du Front patriotique rwandais (qui ont mis fin aux massacres) l'ont rencontré dans un endroit qui abrite aujourd'hui le musée dédié au génocide, à Kigali.
Pourtant, à un moment donné, Ibrahim semblait être à deux doigts de retrouver sa famille : il y a quelques années, il a été invité à rencontrer des familles qui cherchaient des garçons perdus de vue, qui avaient à peu près son âge. Mais l'expérience s'est avérée décevante.
Des Rwandais qui étaient enfants pendant le génocide ont du mal à identifier les leurs parmi leurs compatriotes tués.
"Je suis allé sur le site des commémorations et j'ai rencontré deux groupes de survivants, mais ils n'ont pas pu me fournir les données nécessaires. Ils ont dit que je ressemblais à telle personne qui est morte, ou à telle autre personne qui est morte également. Aucune information précise sur ma famille", raconte Ibrahim.
Il n'a pas perdu espoir. Mais le jeune homme a des préoccupations plus pressantes. Il n'a pas d'emploi et son espoir de faire des études supérieures s'évanouit.
Ibrahim ressent, semble-t-il, un sentiment écrasant de désespoir et d'isolement, sentiments que partagent ses deux amis. "Nous n'avons pas le soutien nécessaire pour aller de l'avant. Nous n'avons pas les moyens de vivre une vie meilleure", se désole-t-il.
Comment Joséphine, la femme qui l'a élevé avec tant d'amour, qui rayonne fièrement à ses côtés sur une photo, va-t-elle se sentir si Oswald retrouve sa famille ? A la question, Oswald répond par le sourire.