An 20 du décès du Premier président du Sénégal (1906-2001)... Il était une fois Léopold Sédar Senghor. C’est à l’âge de 39 ans que l’agrégé en grammaire, Léopold Sédar Senghor, dit être « tombé en politique ». C’était en 1945. À l’époque, Charles de Gaulle était le Président du Gouvernement provisoire de la République française restaurée.
Léopold Sédar Senghor : An 20 du décès du Premier président du Sénégal (1906-2001)
Rappelé à Dieu le 20 décembre 2001, le Premier Président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, a un parcours politique atypique. Député, maire, Secrétaire d’État, Président de la République, il s’est volontairement retiré de la fonction de Chef de l’État.
Au Sénégal, l’homme politique le plus en vue, sans doute, est Me Lamine Gueye, premier maire noir de Saint-Louis et patron de la Section française de l’Internationale ouvrière (Sfio).
C’est d’ailleurs cet avocat qui va convaincre Senghor d’entrer en politique. Et les deux hommes seront élus, l’année suivante, députés à l’Assemblée constituante ; le premier au nom des « Quatre communes » (Saint-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée) et le second au nom des « sujets ».
Mais trop vite, Senghor a pris goût à la politique et s’affranchit de son mentor. Lui le député des « sujets » va tisser des liens étroits avec la paysannerie, ses leaders émergents et sa classe maraboutique.
Ainsi, avec l’instituteur Mamadou Dia et le soutien de Touba, l’homme qui a fini de sillonner le monde rural, avec ses tenues sahéliennes kaki, devenues légendaires, a réussi à mettre sur pied un parti de masses : le Bloc démocratique sénégalais (Bds).
Devenu majoritaire, son parti obtient deux sièges aux élections de 1956. Lui et Mamadou Dia sont envoyés au palais Bourbon. Auparavant, en 1955, sous le Gouvernement d’Edgar Faure, Senghor est nommé Secrétaire d’État à la Présidence du Conseil.
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Cette année-là, Senghor, qui avait publié deux articles : « L’Afrique et l’Europe » et « Pour une solution fédéraliste », a combattu la loi Cadre de juin 1956 accordant une semi-autonomie aux territoires d’outre-mer et créant des conseils de Gouvernement.
Sur le plan local, il est élu maire de Thiès en novembre 1956. L’année suivante constitue un tournant. Le Bds fusionne avec d’autres partis de l’Afrique occidentale française (Aof) au sein de la Convention africaine et le journal La Condition humaine devient L’Unité.
Les années pré-indépendances sont cruciales. Senghor et Lamine Gueye fusionnent leurs mouvements pour former l’Union progressiste sénégalaise (Ups). L’enfant de Joal devient membre de la Commission chargée d’élaborer une Constitution destinée à créer une communauté franco-africaine.
En juillet, au congrès du Parti du regroupement africain (Pra) à Cotonou, les participants décident de refuser la communauté et de réclamer l’indépendance.
Lors du référendum proposé par le général De Gaulle, seule la Guinée a décidé de prendre son indépendance. L’absence de Senghor et de Mamadou Dia lors de la tournée de De Gaulle est notée à l’étape de Dakar. C’était en 1958.
Pour le fédéralisme
L’année suivante, Senghor met en place, avec Modibo Keita du Soudan français (actuel Mali), la Fédération du Mali. La Haute Volta (Burkina) et le Dahomey (Bénin), qui devaient faire partie de cette fédération, se rétractent à la dernière minute.
Le Soudan français et le Sénégal ne s’entendant pas sur l’essentiel, la fédération vole en éclats dans la nuit du 19 au 20 août 1960. Ainsi, en septembre de la même année, Senghor est élu Président de la République du Sénégal et Mamadou Dia Président du Conseil.
Une dualité est notée au sommet de l’État et en décembre 1962, Mamadou Dia, accusé d’avoir tenté un coup d’État, est arrêté.
En 1963, Senghor, qui instaure un régime présidentiel, est réélu pour un mandat de cinq ans. Il fait partie des pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine (Oua) en Éthiopie. En 1967, il est l’objet d’une tentative d’attentat.
L’année suivante, les secousses à l’Université de Dakar le poussent à réformer et à partager le pouvoir. C’est ainsi qu’il crée le poste de Premier ministre qui sera occupé, en 1970, par l’énarque Abdou Diouf qui va lui succéder au pouvoir en 1980, à la suite d’un retrait volontaire.
Aly DIOUF
L’adieu de la Nation au père de l’Indépendance
Des adieux empreints de grande ferveur populaire ont été réservés au père de l’indépendance du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, décédé le 20 décembre 2001. Rétrospective sur l’adieu que la Nation avait réservé au défunt président poète.
Jeudi 20 décembre 2001 ! Triste date. L’Afrique vient de perdre l’un de ses plus grands dirigeants. Léopold Sédar Senghor, père du Sénégal indépendant, tire sa révérence, à l’âge de 95 ans.
Une nouvelle qui plonge tout le pays dans une émotion indescriptible. Le Président de la République d’alors, Me Abdoulaye Wade, avait décrète un deuil national de 15 jours. Mieux, il met les petits plats dans les grands pour organiser des obsèques nationales à la dimension de la personnalité du disparu.
La dépouille mortelle, arrivée au Sénégal le jeudi 27 décembre 2001, est accueillie par la famille du défunt pour l’acheminer à l’Assemblée nationale. Sur le parcours, un bref arrêt est observé devant le théâtre national Daniel Sorano, haut lieu de la culture créé par Léopold Sédar Senghor, aussitôt après l’indépendance du Sénégal.
Dans la soirée du 27 décembre, une veillée poétique est organisée à la Maison de la Culture Douta Seck, par le Ministre de la Culture de l’époque, avec la collaboration de la communauté des poètes, écrivains et hommes de culture.
Le vendredi 28 décembre, la dépouille mortelle est exposée sur le parvis supérieur de l’Assemblée nationale où des milliers de Sénégalais, des Chefs d’État et des représentants diplomatiques se sont rendus pour s’incliner devant la mémoire du disparu.
Senghor, il faut le rappeler, a été le Premier président de l’Assemblée de la Fédération du Mali, qui a laissé la place à l’Assemblée nationale actuelle.
Le lendemain, samedi 28 décembre 2001, sous les honneurs de la République, le cercueil du défunt Président est, dans la matinée, acheminé à la cathédrale du Souvenir africain où la messe de requiem est célébrée.
Ce lieu de culte se révèle trop petit pour contenir tous ceux qui se sont déplacés pour formuler des prières pour le repos éternel du premier Président de la République du Sénégal.
Après la cathédrale, le cercueil, aux couleurs du Sénégal, est conduit au Palais de la République pour les hommages du Chef de l’État, Me Abdoulaye Wade. En sus, durant la période de deuil national, comprise entre le mercredi 19 décembre 2001 au mardi 1er janvier 2002, un registre de condoléances est ouvert à l’Assemblée nationale.
Rendant hommage au défunt Président de la République et fondateur du Parti socialiste (Ps) sénégalais, Me Wade le décrit, à l’occasion comme « l’un des grands inspirateurs de l’Union africaine.
Le chantre de la négritude qui, à côté de Aimé Césaire et de Lamine Gueye, a inspiré de grandes rencontres intellectuelles avec de grandes personnalités de la diaspora noire et de grands intellectuels comme Jean-Paul Sartre ».
L’ancien Chef de l’État, Abdou Diouf, abonde dans le même sens pour rendre hommage à son mentor. « Je ressens une immense douleur. Le Président Senghor, c’était pour moi un père aussi bien sur le plan politique que spirituel.
Il m’avait adopté, formé, confié des responsabilités, et aidé à le remplacer à la tête de l’État », témoigne le Président Diouf, non sans ajouter que le défunt était un homme de vision, d’action, de sagesse, d’équilibre qui s’est toujours battu pour ancrer au Sénégal les valeurs démocratiques.
L’actuel Président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, déclare à l’époque que Senghor est un grand homme d’État, de culture, un humaniste, un grand Sénégalais. « Homme de paix, il incarnait aussi la méthode personnifiée parce qu’il avait une vision comme un homme d’État ».
Après les obsèques, Léopold Sédar Senghor a été inhumé au cimetière de Bel-Air, à côté de son fils, Philippe Maguilen Senghor.
Aliou DIOUF
ROYAUME D’ENFANCE
À Djilor Djidiack, Senghor toujours parmi les siens
Dans le paisible village de Djilor Djidiack, dans la commune de Fimela, la plupart des populations considèrent que le Président Léopold Sédar Senghor est toujours parmi eux.
FATICK – « C’est ici le royaume d’enfance du premier Président poète du Sénégal, Léopold Sédar Senghor », lâche d’emblée, Djiby Diouf, conservateur de la maison des Senghor à Djilor Djidiack.
« Malgré son rappel à Dieu, nous considérons que Senghor n’est pas mort. Il est toujours parmi nous pour avoir beaucoup marqué sa famille maternelle dans son royaume d’enfance », souligne ce professeur en Écotourisme.
Tout en parlant de Senghor avec une certaine fierté, M. Diouf précise qu’au préalable, « il faut d’abord rendre hommage à son père feu Diogoye qui signifie le lion en sérère ».
Senghor père était originaire de l’île de Niodior, il s’est établi à Joal, un ancien comptoir commercial sur la côte, explique-t-il. Il va, en 1880, s’installer à Djilor. « Senghor est bien né ici à Djilor Djidiack, un certain 15 août 1906.
Mais, il a été baptisé le 25 novembre 1906 à Joal, et enregistré à l’époque dans le registre des baptêmes sous le numéro 42. C’est pour dire que le 9 octobre est une date fausse mais qui figure sur tous les papiers officiels de Senghor », soutient M. Diouf.
Djilor Djidiack a marqué l’enfance du Président-poète. C’est aussi le cas de Simal où, selon Gorgui Sarr, natif du village, « Senghor aimait bien chanter les Lamantins qui venaient boire à la source de ce village ».
Gorgui Sarr ajoute : « en ces temps, le passage des lamantins constituait des moments incroyables pour les populations locales et des environs car leur apparition était synonyme de bonheur pour elles ».
Le Président-poète aimait bien se rendre à Faoye également, notamment dans le bois sacré de Loungoune Diouf, qui est encore jalousement conservé par les populations et constitue un lieu de purification à travers un rituel auquel venait sacrifier Senghor.
Mohamadou SAGNE (Correspondant)
Le fondateur de l’État moderne sénégalais
Le premier Président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, a été un grand Homme, qui s’est battu pour léguer à notre pays un État moderne avec une administration de qualité qui fait la fierté des Sénégalais.
Beaucoup connaissent Senghor, l’homme de lettres, le politique, mais le premier Président du Sénégal a apporté une contribution principale à la fondation d’un État solide, avec une administration de qualité.
Il a fortement contribué aussi à la construction d’une Nation sénégalaise plurielle mais unifiée, avec des concitoyens réunis par le sentiment du commun vouloir de vie commune.
Étienne Guirane Dieng, Conservateur de la maison familiale de Léopold Sédar Senghor à Joal (Mbind Diogoye), que nous avons interrogé en août 2020, lors d’un reportage dans les « Feuilles d’Hivernage du Soleil », confiait, que ce qu’il a le plus retenu du Président Senghor, c’est que ce dernier, même Sérère, habitant de Joal, a tout fait pour la construction de l’unité nationale en évitant le régionalisme et le tribalisme.
« C’est pourquoi certaines personnes de la zone disaient qu’il n’a pas fait beaucoup pour Joal alors que lui voulait servir tout le Sénégal. Il était profondément Sérère, mais il a voulu être équidistant de toutes les ethnies du pays pour construire la Nation sénégalaise », avait relevé M. Dieng.
Le Professeur Assane Seck, dans le document du colloque « Léopold Sédar Senghor : La pensée et l’action politique », organisé le 26 juin 2006 par la section française de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (Apf), à l’Assemblée nationale française, sous la présidence de Abdou Diouf, alors Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif), confirmait son caractère d’homme d’État.
Le Professeur Assane Seck, qui était membre de tous ses Gouvernements, lors des quatorze dernières années de son magistère, de mai 1966 à décembre 1980, a découvert que Senghor était « un fin politique et un grand homme d’État ».
« Il savait, en expert, tout en déjouant les pièges têtus des intérêts personnels ou de groupes, distinguer dans l’écheveau emmêlé des faits quotidiens d’importance nationale ou internationale, l’essentiel à réaliser coûte que coûte », a écrit le Professeur Assane Seck, dans le rapport du Colloque.
Amadou Cissé Dia (1915-2002), compagnon de Senghor, ancien Ministre et président de l’Assemblée nationale, témoignait, dans Le Soleil du week-end des 22 et 23 décembre 2001, que « le Président Senghor est l’homme qui a bâti, de ses propres mains, l’État sénégalais ».
« En 1947, un an après notre entrée aux Conseils généraux, Senghor me dit : ‘’Cissé Dia, nous nous acheminons vers les indépendances’’. Pour moi, ce n’était là que paroles de poète, mais je me gardais bien de le lui dire. Senghor alla s’inscrire à la Commission des Affaires sociales qui comprenait l’Enseignement et l’Éducation. Par la suite, il devint le Président.
C’est ainsi qu’il a pu forger des cadres pour le Sénégal », confiait M. Cissé Dia. Ce dernier rappelle qu’en 1947, le pays n’avait que deux lycées : à Saint Louis et Dakar, sans professeur sénégalais, ni magistrat, avec comme seul avocat, Me Lamine Guèye.
C’est avec la détermination de Senghor que notre pays a pu avoir une élite bien formée, suite à l’installation d’un système éducatif de qualité.
Père de la Nation sénégalaise, il a aussi créé plusieurs structures ayant permis de bâtir une administration de qualité avec un grand sens de l’organisation, à l’image du Bureau organisation et méthodes (Bom) vanté pour son efficacité.
Oumar KANDE
LEGS À LA POSTÉRITÉ
FAMILLE
Des joies passées, des peines inoubliables
Il a connu la gloire d’un homme d’État, la fierté d’un patriarche, mais surtout les inquiétudes puis la douleur d’un père. Senghor a eu une existence marquée par les bons souvenirs d’une tendre enfance, et une vie de famille sur laquelle a fortement plané le spectre de la mort. La courbe de vie du premier Président de la République indépendante du Sénégal se dessine en dents-de-scie.
Toute sa vie, Léopold Sedar Senghor s’est remémoré sa douce enfance auprès de sa maman Gnilane Ndiémé Bakhoum. Cette période de sa vie qui s’est faite à Joal apparaît à suffisance dans ses œuvres littéraires comme une des meilleures séquences de son vécu.
Cependant, sa vie n’aura pas été monotone. Mais cela, il ne l’écrit pas. C’est l’histoire d’une vie politique pleinement remplie et celle de la mort de deux de ses fils trop tôt arrachés à son affection. Il aura vécu. Il aura goûté à tout ce que la vie a eu à donner comme joie, et tristesse ; sans rien laisser transparaître.
Il aura vécu selon la maxime de Jules Cesar : veni, vidi, vici (je suis venu, j’ai vu et j’ai vaincu). Dans un documentaire de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) français, Senghor s’est plu à entonner une partie de son poème « Je ne sais en quel temps c’était ».
Assis à même le gazon, le bouquin pendant sur son bras accoudé, en fond sonore de brise de mer, il lit : « je confonds toujours l’enfance à l’éden comme je mêle la mort et la vie. Un pont de douceur les relie ». Voilà le résumé de sa vie.
En effet, l’enfance de Senghor est racontée comme dans un conte de fées. Il a vécu dans le souvenir d’une culture sérère dans un milieu paradisiaque (Delta du Saloum).
Toute sa vie, il s’est remémoré de menus détails relatifs à la beauté de la nature, à la douceur de sa mère et à la solidité des liens sociaux en campagne. Mais toutes ses joies connues se conjuguaient déjà au passé pendant qu’il les couchait sur papier. Dans le même temps, les déchirures familiales et la mort se sont abattues sur son foyer.
Il a épousé Ginette Éboué, la fille du Gouverneur du Tchad, Félix Éboué, avant de divorcer d’elle. Par la suite, il épouse la Normande Colette Senghor.
Senghor a eu trois fils : Francis-Arphang, Guy-Wali et Philippe-Maguilen. Les deux derniers sont morts tragiquement alors que le premier, son aîné, est encore en vie. Né en 1947, Francis s’est éloigné de la famille du vivant de son père.
Guy-Wali, épris de philosophie, a trouvé la mort à l’âge de 36 ans. Il a succombé suite à une chute de cinq étages du haut de son appartement à Paris (en 1984).
Quant à Philippe, il est décédé à l’âge de 23 ans (en 1981) suite à un accident de voiture survenu à Dakar. Deux enfants morts dans de difficiles circonstances en l’espace de trois ans. Senghor a déjà quitté le pouvoir (en 1980).
De confession catholique, il est appelé à faire preuve de stoïcisme. Son fils adoptif et non moins poète, Amadou Lamine Sall, révèle, à ce propos, un échange qu’il a eu avec son parrain, après ces événements tragiques.
« On ne gouverne pas impunément. J’ai fini par le comprendre. La perte de mes deux enfants a été un moment fort de méditation », confiait Senghor à son filleul.
M. Sall explique que Senghor a regretté l’exécution de deux prisonniers (Abdou Ndaffa Faye pour avoir poignardé mortellement Demba Diop, ancien maire de Mbour, et Moustapha Lô, pour tentative d’assassinat de Senghor, un jour de Tabaski, à la Grande mosquée de Dakar) condamnés à la peine capitale durant son magistère de 20 ans.
Assane FALL
Une œuvre littéraire plus que jamais intacte
L’éminent poète a laissé un héritage littéraire que le temps qui s’en va n’aura sûrement jamais réussi à éroder.
Le poète Léopold Sédar Senghor a écrit toute sa vie ou presque. L’enfant de Joal s’est imposé comme l’un des plus grands écrivains et penseurs de son époque. Ses œuvres littéraires « Chants d’ombre », « Hosties noires », « Ethiopiques », « Œuvres poétiques », pour ne citer que celles-là, restent des classiques majeures de la littérature noire.
Une référence pointue sur le plan littéraire qui aura inspiré de nombreuses générations d’auteurs pendant la période coloniale, mais aussi ceux contemporains.
Entre le jeu politique et celui de l’écriture, Senghor a réussi, partout, à imposer sa marque. Aujourd’hui, deux décennies après sa disparition, son héritage littéraire reste intact, « surtout dans le domaine des études africaines et de la théorie postcoloniale ».
Ce qui est un « fait étrange », selon le critique littéraire et écrivain, Khalifa Touré. « Aujourd’hui, il y a, au-delà de la littérature stricto-sensu, une réception senghorienne dans les sciences humaines. Senghor, Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon et Eboussi Boulaga sont cités dans la même foulée, surtout en ce qui concerne l’authenticité et les connaissances endogènes.
Senghor est convoqué par des intellectuels africains qui se penchent sur la post-colonie », relève-t-il. À ses yeux, l’influence de l’un des pères fondateurs du mouvement de la Négritude se fait surtout sentir d’un point de vue esthétique.
« Il y a aussi à faire remarquer que la critique de l’œuvre de Senghor, formulée par toute une génération d’intellectuels, a contribué positivement à vivifier la mémoire de Senghor dans le champ des connaissances et de la littérature africaine. Il a fixé Senghor dans l’actualité du savoir », ajoute-t-il.
Le premier Africain à siéger à l’Académie française a impulsé une forte dynamique aux lettres africaines. Ses concepts sur le métissage culturel et l’universalité, l’enracinement et l’ouverture, traduisent la vision intemporelle d’un écrivain foncièrement engagé pour la promotion des valeurs du monde noir, un auteur prolifique qui a cherché, à travers ses œuvres, à imprimer les idées de l’émancipation d’une partie du monde dont l’histoire fut longtemps bâillonnée.
Regain d’intérêt
Pour l’auteur de « Portraits décalés », Léopold Senghor est un penseur, un écrivain, un poète qui a une identité. « Il a eu la chance de formuler son savoir et de produire ses œuvres littéraires à partir d’un lieu.
Ce n’est pas donné. L’Afrique et ce qu’il a appelé poétiquement le ‘‘Royaume d’enfance ’’ sont un ‘‘prétexte d’enracinement ’’ chez lui. Le contexte de domination où l’Afrique se trouvait alors a permis à l’écrivain de poétiser les valeurs africaines sous forme d’œuvres littéraires et de forger une pensée africaine dans ses essais », soutient Khalifa Touré. Ce faisant, poursuit-il, l’on peut dire « froidement » qu’il a une démarche politique et morale.
Aujourd’hui, il y a un regain d’intérêt pour les œuvres de Senghor qui sont aussi enseignées à l’école.
« On ne peut pas dire que Senghor est insuffisamment enseigné puisqu’il est omniprésent dans les langues et les cours de français au Sénégal », avance Khalifa Touré.
Seulement, fait-il remarquer, la réception littéraire de son œuvre est biaisée par le regard de méfiance qu’une partie de l’intelligentsia sénégalaise jette sur son œuvre. « Mais nous assistons aujourd’hui à un retour de Senghor à la faveur des études africaines », pense-t-il.
En dépit du temps qui passe, Senghor le littéraire est resté l’une des plus grande figures du 20e siècle qui a eu une influence incontestable sur les élites lettrées de son pays et de son continent.
Ibrahima BA
Un homme entre humanisme et universalité
Le parcours tout entier de Léopold Sédar Senghor est marqué par la double quête de l’humanisme et de l’universalité. Pris en étau entre une Francophonie à inventer et une Négritude africaine à affirmer à travers le concept de « civilisation de l’Universel », le poète incarnait, avant l’heure, le paradoxe des Nations à défendre et à transcender dans un contexte mondialisé.
Face aux difficultés théoriques et aux conséquences pratiques, aux incertitudes et enjeux de la mondialisation, Léopold Sédar Senghor a opposé la « Civilisation de l’Universel » en construction.
Composante essentielle de la pensée qu’il a théorisée avec Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas, il a milité, sa vie durant, pour asseoir la Négritude, concept universaliste présente dans toutes ses publications et qu’il a décliné à travers le triptyque métissage culturel-enracinement-ouverture.
Toutefois, cette figure emblématique de la Négritude a toujours milité pour un enracinement préalable à l’ouverture, une nouvelle humanité enfin réconciliée avec elle-même parce que libre et fraternelle.
Cet universalisme est une reconstruction de l’unité humaine, une civilisation qui met l’homme en son centre à travers sa diversité culturelle.
Pour Senghor, « la Négritude n’a jamais insisté sur la couleur de la peau mais sur l’ethnicité ». Celle-ci n’est pas seulement la race avec ses qualités physiques, mais davantage « la culture avec ses valeurs de civilisation ».
Vu sous cet angle, la culture négro-africaine, qui fonde la participation de tous à la civilisation universelle, est au centre de la négritude, de la poésie (mouvement littéraire), de la pensée et des références philosophiques et ancestrales de Senghor.
Elle n’est pas abstraite chez ce chantre de l’universalisme pour qui la culture, qui fonde la participation de tous à la civilisation universelle, est supérieure à la politique ».
Il va jusqu’à considérer que la culture est « la civilisation en action ». Cette affirmation de la primauté de la culture dans la négritude et ses implications est un moyen, pour le poète-Président, de dépasser le cliché colonial » qui, malgré ses apports réels ou supposés, n’est pas synonyme de « progrès moral ».
Le premier Africain agrégé en grammaire a laissé au monde de la culture universelle un immense héritage.
La remarquable cohérence de sa pensée politique et son jugement sur la colonisation rejoignent sa poésie, son système référentiel et son importante production théorique rassemblée en volumes poétiques, philosophiques et culturels.
Le débat passionné suscité par son œuvre immense et sa pensée multiforme l’a classé au panthéon des écrivains et penseurs africains et parmi lesquels il est « le plus admiré, le plus récompensé à travers le monde, mais aussi le plus critiqué et le plus honni ».
Mamadou Lamine DIEYE
Les honneurs à un immortel
C’est le 23 mars 1984 que Léopold Sédar Senghor rejoint les « Immortels ». Il est élu à l’Académie française en 1983 au 16e fauteuil qu’occupait le Duc de Levis-Mirepoix.
Reçu solennellement sous la Coupole, le 29 mars 1984, il est le premier africain à y siéger. Il participe régulièrement aux séances hebdomadaires jusqu’aux dernières années de sa vie, malgré son âge très avancé.
Lors d’un hommage officiel mais tardif qui lui a été rendu, à Paris, à l’Église Saint-Germain-des-Prés, le 29 janvier 2002, le Président français, Jacques Chirac, déclarait : « la poésie a perdu un maître, le Sénégal un Homme d’État, l’Afrique un visionnaire, la France un ami ».
Senghor fait partie de ceux qui ont signé le Traité de Niamey en 70, portant création de l’Agence culturelle de coopération technique (Acct), ancêtre de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif).
La Francophonie lui sera reconnaissante en donnant son nom à la célèbre université d’Alexandrie qui a reçu de nombreux hauts cadres des pays de l’espace francophone.
À travers le monde, de nombreux espaces, écoles, rues et avenues, et places publiques portent le nom de l’ancien Chef de l’État sénégalais. Au titre des décorations et Honoris Causa, Senghor en a reçu à travers les cinq continents qu’il a eu à visiter.
Au Sénégal, le premier Président est aussi immortalisé, avec des édifices et autres infrastructures qui portent son nom « le lycée de Joal, l’avenue Roume passant devant le palais présidentiel, le stade de l’Amitié, l’aéroport de Dakar…).
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