Il semble que nous soyons dans la dernière ligne droite... Il faut envoyer très vite l'un de ces deux textes, ou votre version personnelle à :
Monsieur le ministre de l'Education nationale
110, rue de Grenelle
75007 Paris
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L'obstétricienne en charge de cette réforme lance des rumeurs et fait mine de ne plus être la première de la classe, essayons de relever le débat !
Texte 1
M. ou Mme X
à
Monsieur le Ministre de l’Education Nationale
Monsieur le Ministre,
Professeur de lettres exerçant en collège (ou en lycée), j’ai décidé de vous écrire, car je crois au rôle crucial de ma discipline dans l’enseignement secondaire et en sa valeur. Je me tiens à l’écart des luttes partisanes et des positions institutionnelles ou idéologiques que d’aucuns cherchent à défendre. Mon seul souci est celui des élèves.
Les " réformateurs " de l’enseignement des lettres, pour exiger l’évolution de son enseignement, évoquent les progrès de la didactique. Quand on connaît les dégâts provoqués par certaines expérimentations didactiques encore en usage dans les classes pour l’enseignement de la langue, il paraît prudent de freiner des ardeurs philonéistes : la " méthode semi-globale " est chez certains enfants un obstacle à l’apprentissage de notre langue syllabique ; le décloisonnement de l’enseignement de l’orthographe et de la grammaire au collège a fini de ruiner ce que la baisse des horaires consacrés à la lecture et à l’écriture au primaire avait inauguré, à savoir la production d’un " nouveau public scolaire " de plus en plus illettré. Comme les " progrès " de la didactique du français ont rendu impossible la lecture de textes littéraires plus difficiles dans leur syntaxe, pense-t-on sérieusement que les " progrès " de la didactique de la littérature vont venir réparer ce que les premiers ont mutilé ? Il est raisonnable de penser que les " progrès " de la didactique de la littérature, faits de bric-à-brac (séquences managériales, jargon communicationnel), rendront son enseignement impossible dans 3 ou 4 ans. Il ne restera dès lors plus qu’à supprimer de fait l’enseignement de la littérature au profit d’un objectif de communication, comme certains pays – le Danemark, les Pays-Bas, la Communauté flamande de Belgique s’y sont déjà engagés - et le tour sera joué.
A l’heure où l’on parle tant de la construction d’un peuple européen, tournons-nous plutôt vers ce qui se fait de mieux chez nos voisins, ou dans l’espace francophone. Certains pays plus avisés n’ont pas hésité à revenir en arrière sur les " progrès " de la didactique : le Québec, la Suisse francophone, la Communauté française de Belgique.
Une " rumeur " annonce que la nouvelle EAF reprendrait un texte de 1994, et une association de professeurs qui refuse de s’appeler " de lettres ", d’ailleurs divisée et en perte de vitesse, de s’en affliger, au nom d’un progressisme aveugle qui ressemble plus à du " bougisme ". Mais alors que dire de cet exercice issu de la rhétorique du 19ème siècle, le sujet d’invention, qui formait les élèves au souci du bien écrire, selon des codes prescriptifs et " fossilisants " que les écrivains de la seconde moitié du siècle ont fait exploser – sujet d’invention sur lequel Proust ironisait et que cette même association de professeurs a contribué à ressusciter ? A ce jeu de dater l’origine des sujets de la future EAF, on se demande qui est le plus rétrograde ! En réalité en la matière, sachons écouter Hannah Arendt : " Il me semble que le conservatisme, pris au sens de conservation, est l’essence même de l’éducation, qui a toujours pour tâche d’entourer et de protéger quelque chose – l’enfant contre le monde, le monde contre l’enfant, le nouveau contre l’ancien, l’ancien contre le nouveau. " Les " réformateurs " poursuivent leur plaidoyer pour une adaptation de l’enseignement de la littérature à l’" air du temps ", en mentionnant les " avancées de la recherche universitaire " et les " progrès de la réflexion didactique ", censés " répondre aux besoins culturels d’un nouveau public scolaire ". Ainsi l’étude des avant-textes et autres brouillons d’auteurs, exigée par les nouvelles instructions officielles de Seconde, de même que la perspective socio-critique engagée sur la littérature, ou sa réduction à un discours effectué dans une situation de communication, répondent-elles à de nouveaux besoins culturels ou renforcent-elles la position de certains universitaires, à l’origine de ces nouveaux programmes, dans le champ de la critique ? L’élève n’a-t-il pas à être mis à l’abri de telles modes ou de savoirs trop spécialisés, conformément au " conservatisme " dont parle H. Arendt ? Rappelons les effets dévastateurs des " maths modernes " ou de l’abandon de l’enseignement de la chronologie en Histoire, par engouement pour une école universitaire, si noble fût-elle !
L’idéologie des " réformateurs " vilipende ensuite la dissertation, perçue comme un exercice " prisonnier de normes fossilisées ". L’outrecuidance consiste ici à rayer d’un simple trait de plume dogmatique plus de deux millénaires d’histoire de la pensée, au nom d’un obscurantisme devenu officiel qui se drape des atours de la modernité. Le commentaire composé subit le même procès : ringard, rigide, sclérosé ! On attend une argumentation solide pour démontrer que cet exercice, considéré comme particulièrement formateur depuis longtemps par l’ensemble des enseignants, et spécialement prisé des élèves, soit devenu soudainement si coupable. Je rappelle que c’est cette même idéologie qui, dans les années 70, avait accusé l’orthographe et la grammaire d’imposer leurs " normes fossilisées " à des enfants de la sorte étouffés. Redevenons un instant sérieux et cessons de faire croire à l’élève qu’il peut s’autofonder en se libérant de toutes contraintes, de tous repères, de tout ancrage symbolique – que ce dernier se fasse dans les structures de la langue, de l’histoire littéraire, ou de la pensée.
Quant à l’oral de la future EAF, il y a de la tartufferie à le défendre. Privée de liste de textes, cette épreuve ne pourra que favoriser les " héritiers " de la culture, ceux chez qui la littérature est un sujet courant le soir à table. Ou alors la paraphrase et de vagues remarques technicistes sur la singularité générique des textes seront les nouveaux objectifs de cette épreuve, mais alors qu’on le dise clairement ! L’actuelle liste garantissait plus d’équité, pour les élèves défavorisés culturellement. Leurs efforts, leur travail pouvaient être récompensés, mais aujourd’hui ces valeurs ont mauvaise presse. On parle de " bachotage " ou de " psittacisme ", quand on fait semblant d’oublier qu’une liste de textes garantit, par les révisions qu’elle implique, l’acquisition d’un savoir littéraire, d’un vocabulaire parfois, et qu’il existe une phase d’entretien qui évalue la capacité à dialoguer de l’élève, à entrer dans une conversation, à partir d’un texte littéraire.
Professeur du terrain, (enseignant dans un établissement difficile), j’ai autant compétence pour parler de l’enseignement de ma discipline que des responsables officiels d’association. Je ne parle depuis aucune position idéologique, sans arrière-pensées. Je n’ai pas d’autre intérêt que celui de défendre mes élèves, de leur donner un enseignement qui les élève. Je m’oppose à un prétendu modernisme qui ne vise qu’à adapter l’élève à une sommaire " carte de compétences ", à laquelle devraient se plier les nouvelles épreuves du baccalauréat, quelles que soient les disciplines : savoir lire un texte, savoir repérer un indice, savoir confronter, savoir passer d’une focalisation à l’autre, etc. Il est vrai que la dissertation, le commentaire composé et l’ancienne discussion sont peut-être trop formateurs, pour un marché du travail qui a intérêt à une dévaluation des diplômes.
Confiant dans le jugement d’un homme de gauche et de culture, je vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de mon respectueux dévouement.
M. ou Mme X
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Texte 2
NOM
Prénom
Professeur de lettres
à
Monsieur le Ministre de l’Education Nationale
Monsieur le Ministre,
Professeur de lettres exerçant en (collège – lycée), j’ai décidé de vous écrire, car je crois au rôle crucial de notre discipline dans l’enseignement secondaire et en sa valeur. Je m’estime indépendant(e) vis-à-vis des luttes partisanes et des positions institutionnelles ou idéologiques que d’aucuns cherchent à défendre. Mon seul souci est celui des élèves.
Je souhaite faire entendre ma voix face aux caricatures que se permet d’esquisser de nous une association qui refuse la magnifique dénomination de " professeurs de lettres " et se présente à la pointe du " progrès ". Ses membres s’appuient sur leur enthousiasme naïf face à l’évolution scientifique de notre discipline. En néophytes qui admirent sans recul, ils s’imaginent que nous n’avons ni leurs pratiques innovantes ni leur culture universitaire. Bien au contraire ! C’est parce que certains d’entre nous ont déjà expérimenté longuement les méthodes qu’ils prônent, qu’ils s’alarment de leurs résultats et de leur généralisation.
Je juge dangereux qu’un groupuscule s’imagine avoir découvert une recette pédagogique miracle et ambitionne de la généraliser de manière totalitaire, alors que ses effets nocifs ont déjà été mis en évidence au Québec, en Communauté française de Belgique et en Suisse francophone.
Je suis épouvanté(e) de constater que cette réforme, qui nous est imposée actuellement sans état d’âme, a été abandonnée au Québec en 1993, sous la pression de l’opinion publique, au profit d’un retour à un enseignement raisonnable de la grammaire fondamentale et de la littérature ;
que cette réforme, pratiquée depuis vingt ans en Communauté française de Belgique, est précisément abandonnée cette année, au profit de nouveaux programmes, applicables en 2002, et réorientés dans la même direction que ceux du Québec ;
que cette réforme est également remise en cause dans les cantons francophones de la Confédération Helvétique.
La méconnaissance ou le mépris de ces douloureuses réalités me paraît gravissime.
Militant pour des innovations d’inspiration savante, un tel programme, tout en proclamant que c’est la personne de l’élève qui est au centre de la démarche d’enseignement, vise d’abord à convertir les enseignants à une nouvelle configuration de savoirs trop spécialisés, émanant d’un cercle étroit de chercheurs.
Je réclame, au nom des élèves, davantage de bon sens et de modestie scientifique.
Je clame mon indignation devant une abstraction renforcée de notre discipline, qui se révèle encore plus discriminante socialement : ce nouveau scientisme n’est pas démocratique, car il implique une distance encore plus grande du jeune lecteur par rapport aux textes, le mutilant de toutes les ressources de sa sensibilité, le privant d’accéder au sens par le biais de l’admiration et de l’identification.
Je connais la faiblesse des bases théoriques auxquels les nouveaux programmes se réfèrent : certains fondements en sont déjà obsolètes.
En contact quotidien avec les élèves, je refuse qu’ils paient lourdement le prix de l’éclatement de notre discipline, de la remise en cause hâtive et maladroite de son identité.
C’est l’identité culturelle des jeunes de notre pays qui ne sortira pas indemne de ces incohérences, précisément lors d’une étape clé de la construction européenne.
Ce n’est pas un hasard si ce programme échoue gravement à définir les épreuves d’évaluation qui doivent le sanctionner.
Je condamne le projet de la nouvelle épreuve anticipée de français en ce qu’il manifeste avec éclat une trop grande difficulté à opérer un tri adéquat parmi un éclatement des savoirs savants, et une incapacité encore plus grande à recomposer les éléments retenus dans une cohérence proprement scolaire.
De tels programmes ont, selon leurs concepteurs, une fonction purement idéologique : il s’agit avant tout de délégitimer les savoirs de base, de manière à transformer les représentations que les enseignants se font de leur tâche.
Je pense que le prix à payer en est trop élevé : cette opération aboutit à complexifier une discipline scolaire qui devient ainsi vertigineusement mouvante, à compromettre dangereusement la formation des jeunes de notre pays, qui se dissout déjà jusqu’au vertige.
Enfin, je souscris avec enthousiasme à ce passage des nouveaux programmes de la Communauté française de Belgique (p. 12) :
" Pourquoi des œuvres littéraires ? Parce que tout s’y exprime, depuis les aspects affectifs et sensibles de l’être humain jusqu’aux spéculations philosophiques. Le texte littéraire reste un excellent instrument de démocratie culturelle. Il est à la fois un facteur d’intégration et d’émancipation. Expression du particulier (une œuvre, un auteur donnés) et de l’universel (un fonds de culture commun à travers des thèmes, des personnages, des mythes, des archétypes), il permet à la fois de s’intégrer à une culture et de s’en distancier par son caractère critique et novateur "
Puissions-nous, Monsieur le Ministre, sous votre égide, bénéficier de textes officiels d’une telle qualité !
Confiant(e) dans le jugement d’un homme de culture, je vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de mon respectueux dévouement.
NOM :
Établissement d’exercice :
11/2018