La cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop, dont le long métrage ’’Atlantique’’ fait partie des films retenus pour la compétition officielle de l’édition 2019 du Festival de Cannes (14-25 mai), perpétue un héritage culturel transmis par sa famille dont certains membres ont accédé à une notoriété qui a contribué à la renommée du Sénégal sur la scène internationale.
Mati Diop a de qui tenir, avec un père musicien, Wassis Diop, compositeur atypique devenu un auteur inventif de musique de films, et un oncle comédien, scénariste et réalisateur. Un cinéaste africain marquant de sa génération, bien qu’il soit un peu moins connu que ’’le père des aînés’’, Ousmane Sembène, véritable icône du cinéma sénégalais.
Avec Wassis Diop et Djibril Diop Mambety, Mati Diop a pu compter sur deux modèles, deux pères spirituels caractérisés par un génie incontestable, inclassable parfois, sauf à rapporter leurs œuvres dans la quête d’un humanisme qui s’inspire de la culture pour dire l’homme : lire la société.
La réalisatrice-autodidacte a de cette manière naturellement trouvé ses marques au sein d’une famille qu’elle n’a pourtant véritablement découverte que dix ans après la mort de son oncle, en 2008.
Elle marche depuis sur les pas de cet oncle sélectionné en compétition officielle à Cannes en 1992, avec son film "Hyènes", une œuvre lointainement inspirée d’une pièce du dramaturge suisse Friedrich Dürrenmatt, dans laquelle il est notamment question d’argent.
Ce long métrage culte met en scène une richissime vieillarde, Linguère Ramatou, revenue dans son village d’origine, nommé Colobane, comme le quartier de Dakar qui a vu naître le réalisateur.
Il se dit qu’elle a fait fortune dans de lointains pays étrangers, elle-même se disant aussi fortunée que la Banque mondiale, naturellement tout le monde espère qu’elle dispensera ses faveurs à la population locale.
Le maire lui-même démissionne, laissant la place à Draman Drameh, un ancien amoureux de la dame, pour l’inciter à être encore plus généreuse.
Mais, si Linguère Ramatou est de retour au bercail avec ses milliards, c’est pour se venger de ses anciens concitoyens qui veulent son argent, oubliant qu’ils l’ont jadis abandonnée à son sort.
Elle avait été obligée de quitter le village, puis de se prostituer, après que ledit Draman a refusé d’admettre qu’il l’avait mise enceinte. Ce film renseigne, comme nul autre, sur la puissance poétique et l’humour de son cinéma, une maîtrise de l’art de la narration se traduisant par des messages profonds et un regard lucide sur les travers de la société.
Dans ce même sillage, par le biais d’une succession symbolique, Mati Diop a réalisé en 2013 un moyen métrage documentaire intitulé "Mille Soleils", prolongement du chef-d’œuvre "Touki Bouki" (Le voyage de l’hyène) de Djibril Diop Mambety, produit en 1972.
Elle se lance dans ce film sur les traces de Magaye Niang, Mory dans "Touki Bouki’’, et de Anta, actrice principale du film qui vit désormais en Alaska, aux Etats-Unis.
’’Touki Bouki’’ traite en effet de la déchirure d’une société dont tous les membres sont écartelés entre racines et fascination pour l’ailleurs. Mory, un berger venu à Dakar vendre son troupeau rencontre Anta, une étudiante à l’université.
Ensemble, ils chevauchent une moto montée avec le crâne d’une vache (une image empruntée par les stars américaines, Beyonce et Jay-Z), et rêvent de partir en France, de quitter le Sénégal et l’Afrique.
Tous les moyens sont bons pour trouver l’argent pour le voyage. Mory vole des vêtements et de l’argent d’un riche homosexuel qui l’avait invité chez lui. Mais au moment de partir, Anta prend le bateau pour l’Europe et Mory reste et retourne à ses racines.
Après ’’Mille Soleils’’ qui s’inspire de ’’Touki Bouki’’, Mati Diop récidive dans le même esprit avec "Atlantique", son premier long métrage portant sur une histoire d’amour avortée par le départ d’un jeune homme en mer et les difficultés rencontrées par sa bien-aimée, restée à terre.
Un parallélisme pour une réflexion sur le temps qui passe, et non un hommage à Djibril Diop Mambety, si l’on en croit la réalisatrice. Un subterfuge qui permet à la cinéaste de parler entre les lignes d’amour et de politique.
"J’ai voulu, à travers +Mille Soleils+, parler du temps et expérimenter les formes entre le réel et la fiction", une manière de montrer à quel point la réalité à rattraper la fiction, explique Mati Diop, en réponse à ceux qui présentant ce film comme un hommage à son oncle décédé en 1998.