Une dizaine d’officiers s’affairent dans leurs vieux bureaux faiblement éclairés, où s’entasse la paperasse, et entendent les victimes venues déposer plainte : à Lagos, l’unité de police spécialisée dans les agressions sexuelles est débordée et manque de moyens pour travailler.
Au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique avec 180 millions d’habitants, Lagos est le seul des 36 Etats à avoir mis en place une unité dédiée spécifiquement à la lutte contre les violences sexuelles.
Les conditions de travail de cette unité dans la mégapole chaotique sont sommaires: pas de salle d’interrogatoire, pas de véhicule ni d’ordinateurs.
Assis derrière un tas de dossiers, un agent désigne une petite chaise en plastique à une jeune victime présumée. Ici, beaucoup d’affaires sur lesquelles les policiers enquêtent concernent des enfants.
“Vous voyez, c’est difficilement gérable”, affirme à l’AFP l’inspecteur Alaba Munisola, qui dirige l’unité. “Et le nombre de cas rapportés ne fait qu’augmenter”.
Au Nigeria, les femmes et les jeunes filles sont de plus en plus nombreuses à oser dénoncer les violences dont elles font l’objet. Cela est encore plus difficile pour les hommes et le Parlement a commencé seulement cette semaine à discuter d’un amendement à la “loi du viol”, pour reconnaître enfin que les hommes peuvent également en être victimes.
Toutefois les victimes doivent encore affronter les faiblesses d’institutions sous-financées, avec des enquêteurs non formés dans ce domaine.
La création récente d’un registre national des délinquants sexuels est vue comme un pas important vers la fin de l’impunité. Mais les militants associatifs insistent: ce n’est que le début d’un combat qui s’annonce long et difficile pour réformer la justice pénale au Nigeria.
“La manière dont la police enregistre les affaires et dont l’information est diffusée est absurde. Tout est manuscrit”, explique la directrice de l’ONG Stand to end Rape (Debout contre le viol), Ayodeji Osowobi.
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“Le registre aidera les agences à identifier les récidivistes, la police aura plus d’informations quand elle traitera avec des suspects”.
“Justice achetée”
Les statistiques sur les violences sexuelles sont rares au Nigeria, mais selon les Nations unies, une femme sur quatre en est victime avant l‘âge de 18 ans.
L’augmentation rapide du nombre de cas signalés ces dernières années a mis en évidence le traitement défaillant des victimes.
Stand to End Rape, qui a traité des centaines de cas depuis le mois de janvier, fournit un soutien psychologique aux victimes et les aide dans leurs démarches.
“Pour les victimes, la confrontation avec la police est une des plus redoutables expériences jamais vécues”, affirme Mme Osowobi. “Ce qu’ils font aux survivants, ce n’est pas leur poser des questions, mais de véritables interrogatoires.”
Selon la militante, les victimes sont souvent interrogées dans des espaces publics, devant témoins, voire devant les suspects qu’elles dénoncent.
“Dans la plupart des cas, la police demande des “frais de mobilisation”, ajoute Mme Osowobi. “Ils disent: Nous avons besoin de carburant, nous avons besoin de quelque chose pour nous stimuler“.
L’inspecteur Olakunle Orebe travaille dans l’unité spécialisée de Lagos depuis sa création, en 2015 et reconnaît les failles du système policier et judiciaire.
“Souvent, il n’y a pas de budget pour les besoins de base, tels que le transport, l’impression des dossiers, les visites sur les lieux pour enquêter”, se justifie-t-il, dénonçant le manque de moyens drastique dans la police.
Selon lui, suspects et victimes sont parfois transportés dans les mêmes véhicules et parfois même dans les transports en commun, faute d’alternative.
“Comment pouvez-vous transporter ensemble le rescapé et l’auteur présumé dans la même voiture?” s’indigne-t-il. “Ça arrive parfois.”
“Nous ne voulons pas d’une situation où les victimes doivent acheter la justice, alors ces coûts sont souvent à notre charge”, assure l’inspecteur.
*Preuves insuffisantes *
Dans ces conditions, l’immense majorité des cas de viols n’aboutissent jamais à des condamnations: pour celles qui ont eu le courage de porter de plainte, le processus judiciaire prend en moyenne deux ans et la plupart des victimes finissent par se décourager, selon Mme Osowobi de Stand to end Rape.
Certaines affaires n’aboutissent jamais à cause des preuves jugées insuffisantes, du manque de formation des médecins pour rassembler les preuves de viols, ou encore en raison du délai de prescription de seulement six ans.
Les activistes espèrent toutefois que le nouveau registre en ligne des délinquants changera la donne. Jusqu‘à présent, la base de données sur les délinquants sexuels de Lagos, disponible uniquement sous forme papier, ne contenait que 140 noms pour une ville de 20 millions d’habitants.