Vol d’images sensibles, sextorsion, vengeance, chantage : les ravages des réseaux sociaux

L’affaire a causé une situation inédite au sein de cette famille. Embarrassée, la victime vit un drame social.
Le réseau social Tik-Tok fait aussi des ravages. Une respectable dame a été surprise de voir ses vidéos intimes sur cette plateforme alors qu’elles étaient destinées à son époux établi à l’étranger. La demoiselle C. F. (initiales d’emprunt) qui évolue dans l’événementiel, a failli, elle-aussi, tomber à la renverse en voyant ses photos sur Instagram. L’auteur des faits n’est personne d’autre qu’une gérante de salon. Victime de vol dans le salon, elle s’en est ouverte à la propriétaire qui n’était pas sur les lieux. Après lui avoir remboursé son argent, la gérante du salon n’a rien trouvé de mieux que de publier leurs échanges et sa photo de profil sur ce réseau social. C. F. lui a intimé l’ordre de supprimer son image sous peine de porter plainte.Vidéos coquines
En fin décembre 2020, quatre élèves en classe de Terminale et complices du maître chanteur en série surnommé «Kocc Barma», ont été arrêtés et placés sous mandat de dépôt pour collecte illicite de données personnelles. [caption id="attachment_235784" align="alignnone" width="1200"]
Qu’est-ce qu’une collecte illicite de données personnelles
Prendre une photo d’un tiers ou télécharger ses vidéos ou images postées sur un réseau social sans le consentement de la personne sont autant de gestes anodins mais qui, en réalité, peuvent constituer des infractions à la loi pénale. Car, il s’agit tout simplement d’actes que la loi qualifie, selon Me Léon Patrice Sarr, de traitement ou de collecte illicite de données à caractère personnel. Celles-ci ne se limitent pas à l’image, mais, renseigne l’avocat, «constituent toute information permettant d’identifier directement ou indirectement une personne par des éléments propres à son identité physique, génétique, culturel, social, ou économique…». Il s’agit, entre autres, de l’empreinte digitale, des nom et prénom, du numéro de téléphone, de la carte nationale d’identité de la personne. Et toute manipulation sur ces données, informe-t-il, « doit se faire après avoir effectué certaines formalités auprès de la Commission des données personnelles (déclaration préalable ou demande d’autorisation). En plus, certains principes doivent être respectés (légitimité, licéité, loyauté, transparence, proportionnalité, exactitude, confidentialité, transparence, durée limitée, sécurité). En outre, la personne dont les données font l’objet du traitement doit se voir reconnaître certains droits (information, droit d’accès, droit d’opposition, droit de rectification et de suppression). Enfin, pèse à la charge de la personne qui traite les données une obligation de confidentialité, de sécurité, de conservation et de pérennité. « Le fait de publier ma photo sur ma page Facebook, ne signifie pas que vous avez le droit de la télécharger, de la stocker, de la modifier, de la partager ou de la publier. Tout comme l’agent de la Direction de l’automatisation du fichier qui trouve mes données dans le fichier ne peut pas les utiliser à des fins autres que celles justifiant leur traitement», indique Me Abou Abdoul Daff. Selon Me Sarr, « tout traitement effectué sans respect des formalités préalables, des principes, des droits de la personne dont les données font l’objet de traitement ou des obligations du responsable du traitement expose à des sanctions pénales ». Si à un certain moment, les données personnelles étaient utilisées par les sociétés commerciales dans leurs ciblages, maintenant, il y a les nombreuses atteintes à la vie privée qui se font souvent par une collecte illicite de données à caractère personnel. D’où la loi 2008 sur la protection des données personnelles. Elle est suivie par un décret d’application et renforcée par le code pénal qui contient les incriminations. Fatou SYVol et le mauvais usage des réseaux sociaux au banc des accusés
L’usage des réseaux sociaux comme Tik Tok, WhatsApp, Instagram, qui sont des canaux par lesquels certains jeunes exposent leur intimité, n’encourage-t-il pas le phénomène ? À cette question, un gardien et un marchand ambulant âgés de 25 ans, une mère de famille et une restauratrice répondent sans hésiter par l’affirmative. [caption id="attachment_235783" align="alignnone" width="1200"]
Comment expliquez-vous l’exposition de la vie privée sur les réseaux sociaux ?
Avec la mondialisation et l’avènement du numérique, l’utilisation des données à caractère personnel est devenue un fait divers, un phénomène banalisé et encouragé. La vie privée, jadis préservée à travers le «sutura » (Ndlr : pudeur), se voit exposée à nu dans la sphère publique, contrairement à nos valeurs. Cette exposition constitue une arme de guerre, un moyen de destruction et de vengeance dans le but d’atteindre son ennemi. La crise économique aidant, il a été constaté que la vie privée est une ressource, une denrée utilisée à des fins mercantiles. Ce tableau dresse un profond mal-être de la société sénégalaise et annonce les prémices de la crise des valeurs, la destruction des identités et le non-respect des normes sociales qui, jadis, ont été le fondement de base du vivre ensemble et de la cohésion sociale. Aujourd’hui, les règles sociales qui régissaient la société sénégalaise, leurs conduites et leurs aspirations ont perdu leur pouvoir. Celles-ci sont minées par les changements sociaux, cédant ainsi la place à d’autres. Dès lors, nous assistons à un recul de la citoyenneté et du civisme qui constituaient des éléments de référence dans l’éducation et les rites d’initiation dans la société. Les références socioculturelles sont bafouées, dévalorisant ainsi les normes sociales et plongeant les citoyens dans un malaise profond où l’absence de normes fait régner la loi de la destruction de l’autre sans calculer les conséquences et l’impact de l’acte au sein de la société.A lire aussi
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Comment réduire les risques de certaines dérives ?
Il faut éduquer et sensibiliser les personnes, mais surtout les enfants sur les risques et leur donner les outils et les compétences pour naviguer sur le web sans danger. Il est indispensable de mettre á niveau les parents sur les outils de guide parental. Aussi, il faut développer une stratégie nationale de communication sur les dérives et ses conséquences sur la cohésion sociale, gage du vivre ensemble et du respect d’autrui. En outre, il faut appliquer strictement les mesures de sanctions prévues. Surtout faire davantage de sensibilisation à l’endroit des utilisateurs et en mettant en place le cadre réglementaire (y compris des sanctions) et de contrôle adéquat pour prévenir certaines dérives.Jusqu’où les réseaux sociaux prendront-ils place dans nos habitudes ?
Les réseaux sociaux occupent une place croissante dans notre quotidien ; qu’il s’agisse des réseaux sociaux externes ou internes. Ils font partie du décor quotidien des Sénégalais, les plongent dans des séries de suspenses, meublent leur temps, captent leurs attentions et alimentent leurs discussions. Le partage de la vie d’honnêtes citoyens dans la sphère publique constitue un moyen d’oublier les soucis de la vie quotidienne. Trompe-temps pour les inactifs et une perte de temps et absence de productivité pour les actifs.Est-ce une manière de distraire le peuple et de l’éloigner des réalités quotidiennes toujours difficilement vécues ?
Les réseaux sociaux sont des outils qui peuvent être utilisés pour le bien comme pour le mal de la personne. Sans éducation et en l’absence d’une sensibilisation, ils seront utilisés de façon néfaste et nuiront au bien-être des utilisateurs. Avec des standards d’utilisation basés sur les valeurs, les droits et les besoins des personnes, ils peuvent être utiles pour la communication, l’engagement et l’apprentissage. Ils continueront de prendre place dans nos habitudes jusqu’à ce que les utilisateurs deviennent conscients des dérives socioculturelles liées à leur utilisation incontrôlée, ainsi que des autres effets négatifs associés.Ne faudrait-il pas éduquer les plus jeunes à l’utilisation de ces outils ?
Absolument. L’éducation des jeunes à l’utilisation de ces outils devrait constituer une priorité dans nos politiques d’éducation et d’instruction. Toutes les couches de la société devraient être éduquées et sensibilisées à l’utilisation de ces outils. Cette éducation devrait aussi s’orienter vers une mise à niveau sur les fondements de la société sénégalaise, le respect des normes, la distinction entre vie privée et vie publique. Il s’agira de promouvoir le développement des jeunes par les loisirs éducatifs et le civisme. Avec le développement des technologies, la communication virtuelle et la télématique, «il était important de réguler certains faits sociaux de nature à troubler l’ordre public», estime Me Assane Dioma Ndiaye, avocat à la Cour. «Avec la biométrie, les autoroutes de l’information, on a senti qu’il y avait des tentatives d’abus qui pourraient porter atteinte à la dignité des personnes», ajoute-t-il, rappelant que «la criminalité est en avance sur la répression». Ce qui explique, à son avis, le fait que des «esprits malveillants» collectent des données à caractère personnel «pour s’aménager des plages de criminalité afin d’obtenir des gains illicites».Par Kafunel, Propos recueillis par Tata SANE
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