De l’organisation taylorienne à l’entreprise numérique via le système d’informations. On peut remonter très loin pour tenter d’inscrire l’organisation de l’activité humaine dans le temps. Déjà Platon, dans la République, estimait que l’on travaillait plus et mieux et plus aisément, lorsque chacun ne fait qu’une chose, celle à laquelle il est propre.
L’histoire récente montre aussi l’importance de l’organisation dans les grands travaux comme ceux menés par l’ingénieur du roi Vauban (1633-1707) ou la mise en place, en 1586, de l’obélisque du Vatican (de plusieurs centaines de tonnes), pour ne citer que ces deux exemples.
D’une manière générale, on distingue les organisations suivant trois périodes : organisations pré-tayloriennes ou prébureaucratiques, tayloriennes ou bureaucratiques, et post-tayloriennes ou post-bureaucratiques.
Les premières théories du XXe siècle : Taylor, Fayol, Weber
Au regard de la littérature sur ce sujet, nous considérons le développement des théories de l’organisation à partir des débuts du XXe siècle. En effet, cette période est marquée par les travaux de l’américain F.
Taylor (1856-1915) et du français H. Fayol (1841-1925). Taylor est connu pour son organisation scientifique du travail qui se base sur la division du travail.
Pour Taylor qui a publié ses idées dans deux ouvrages principaux : Shop management (Taylor, 1903) et Principles of scientific management (Taylor, 1911), gagner en productivité signifie en résumé utiliser de façon maximale les outils de production, supprimer les gestes inutiles des ouvriers et assurer une préparation minutieuse du travail ainsi que son suivi.
Mais l’histoire a montré que cette organisation du travail reste très limitée. Quant à Fayol, sa doctrine est bien exprimée à travers le titre de l’exposé de ses réflexions : administration industrielle et générale, prévoyance, organisation, commandement, coordination, contrôle.
Henry Fayol (1916) apporte une double réponse aux questions de ses contemporains : il donne une théorie du commandement et des chefs ; il propose des solutions pour gérer des organisations complexes et échapper à leurs effets pervers.
Mais les critiques sur sa théorie s’expriment par rapport à la rigidité et à l’aspect contraignant de son approche au regard de la place qu’il donne à la hiérarchie.
Cependant, la vision de l’organisation en ce début du XXe siècle n’était pas seulement taylorienne ou fayolienne, elle était aussi sociologique avec Max Weber pour qui l’intérêt porte sur les fondements de l’autorité et du pouvoir dans les organisations : il s’interroge ainsi sur les raisons pour lesquelles les organisations, en particulier bureaucratiques, se sont développées (Bagla, 2003).
Weber, qui est contemporain de Taylor, pense que l’organisation bureaucratique est la seule forme de domination légale que l’homme moderne est prêt à accepter ; quant à Taylor, la question de la justification de son organisation du travail ne se pose pas pour lui, puisqu’elle est censée être « scientifique ».
Approches managériales et sociologiques
Dans l’étude des organisations, on fait toujours référence aux expériences. Ces expériences sont connues sous le nom d’expériences de… menées par Elton Mayo (1880-1949) réalisées peu avant la grande crise de 1929 et qui se sont déroulées dans les usines de la Western Electric à Chicago, chez les ouvrières principalement.
L’intérêt de ces expériences vient du fait qu’elles démontrent que les avantages matériels ne sont pas les seules motivations au travail mais que des critères comme la reconnaissance du travail ou la qualité des relations avec la hiérarchie sont tout aussi importants. Elles marquent une rupture avec le taylorisme.
Les expériences de Chicago ont ouvert la voie à de nombreux chercheurs de diverses disciplines intéressés par le fonctionnement des organisations. Au début, les travaux ont porté en grande partie sur la motivation, avec Kurt Lewin (1946) inventeur de la « dynamique de groupe » ou de la méthodologie « recherche-action », Maslow (1943) et sa pyramide.
Abraham Maslow (1908-1970) classe les besoins des individus… des besoins ou Chris Argyris (1957) dont les travaux ont porté sur les relations des individus avec leurs organisations ainsi que la conduite du changement.
Mais on ne peut cantonner l’organisation dans un seul champ de recherche disciplinaire. Elle est fondamentalement pluridisciplinaire. On peut d’une part évoquer une approche « managériale » des organisations et, d’autre part, une approche sociologique.
Le regard managérial des organisations exprime l’influence socio-économique à laquelle elles sont soumises. Diverses théories propres à la gestion ont été développées : théorie de la firme avec James March et Richard Cyert (1963), théories de la décision avec Herbert Simon (1959), théories des coûts de la transaction d’Olivier Williamson (1975), etc.
Les sociologues émettent des réserves sur cette approche parce qu’elle se base sur « la rationalité et la prévisibilité dans un espace clos et limité ». C’est une approche qualifiée de normative. Leur analyse organisationnelle est centrée sur les hommes et leurs actions.
Herbert Simon, qui avait quant à lui une démarche pluridisciplinaire, a étudié l’organisation administrative et la prise de décision ; pour lui, « pour comprendre en quoi le comportement de l’individu s’intègre dans le comportement de l’organisation, il est nécessaire d’étudier la relation qui existe entre la motivation personnelle de l’individu et les objectifs que poursuit l’organisation » (Simon, 1983, p. 19).
L’organisation taylorienne ou bureaucratique se fonde sur le respect des règles censées garantir l’efficacité au travail et réduire les incertitudes. Les sociologues estiment plutôt que ces règles résulteraient des interactions humaines et qu’elles sont difficiles à respecter.
C’est pourquoi ils proposent une distinction entre une organisation formelle et une organisation informelle. Dans l’organisation formelle, on retrouve l’organisation officielle avec des buts et des intentions précis pour orienter les interactions entre ses membres.
Dans l’organisation informelle se développent les pratiques imprévues et les déviations ; ces déviations ou contournements des règles profitent le plus souvent à l’entreprise selon Bagla. `
Crozier et Friedberg, qui ne voient pas l’utilité de cette distinction, estiment dans L’acteur et le système (1977) que, si l’action des acteurs s’inscrit dans un contexte concret, celle-ci est sans cesse remise en cause par leurs pressions et leurs stratégies.
Les approches sociologiques se sont développées dans les années 1970. Outre Crozier et Friedberg, on peut faire référence aux travaux d’auteurs comme R. Sainsaulieu avec la Sociologie de l’organisation et de l’entreprise (1987).
Après avoir exploré la dynamique des modèles de l’histoire industrielle et postindustrielle des organisations, il y examine les relations individu-organisation avec la notion de culture, d’identité et la régulation sociale de l’entreprise.
D’autres auteurs (Boltanski, Salais, Callon, Latour…) ont contribué à développer ces théories ; Anthony Giddens (Giddens, 1987), estime que les structures sociales ont un caractère ambigu parce qu’elles sont à la fois contraignantes pour l’acteur mais elles lui permettent aussi d’exister. Les organisations sont aussi vues sous l’angle économique (Drucker, 1993) ou dans une approche constructiviste (Bouchikhi, 1990).
Une nouvelle organisation par le projet
La littérature autour des théories de l’organisation est immense du fait même de l’objet d’étude qu’est l’organisation. Dans L’analyse des organisations : une anthologie sociologique, Séguin et Chanlat (Seguin et al, 1986) résument l’organisation sous deux visions : une vision fonctionnaliste de l’organisation et une vision critique de l’organisation.
La vie de ces organisations est rythmée par les projets qu’elles mettent en œuvre. Le terme projet a dans le passé désigné la façon de s’organiser dans la construction des grands ouvrages, monuments ou infrastructures avec des moyens matériels et humains très importants.
Dans L’analyse de systèmes techniques avancés de management, Cleland et King définissent le projet comme « étant un effort complexe pour atteindre un objectif spécifique, devant respecter un échéancier et un budget, et qui, typiquement, franchit des frontières organisationnelles, est unique et en général non répétitif dans l’organisation » (Cleland et King, 1970). On peut le définir comme une création collective, organisée dans le temps et l’espace, en vue d’une demande.
Plus généralement, on distingue aussi des catégories de projets appelées projets durs ou hard projects qui concernent un bien livrable tangible : un pont, une autoroute, un barrage hydroélectrique ; et aussi projets mous ou soft projects qui délivrent un bien nettement moins tangible : un nouveau programme de formation professionnelle, une nouvelle stratégie de communication, un nouveau système d’information, etc.
La vision « système d’information »
La terminologie « système d’information » a un tel succès de nos jours dans les entreprises et organisations qu’il peut sembler inutile de disserter sur le sujet : tout le monde en parle, chaque entreprise semble en posséder un, voire plusieurs, plus ou moins identifiés.
Une redéfinition conceptuelle
Parler de système d’information soulève toujours la nécessité de circonscrire le concept de « système » mais surtout celui « d’information » et de « donnée » Leleu-Merviel, 2008).
La question est d’autant plus délicate, comme le souligne Sylvie Leleu-Merviel, que « malgré les nombreux travaux, une partie de l’information reste mystérieuse » (Leleu-Merviel, 1997, 79). La démarche de l’auteur est de « déterminer un vocabulaire opérant ».
Cette démarche consiste à définir la notion de donnée, de signal, d’information, de sens et enfin de message ; elle nous permettrait de mieux comprendre les interrogations autour de l’information car comme l’indique Yves Jeanneret.
La société de l’information, glossaire critique, p. 87, La… : « L’ensemble du glossaire ne suffit pas à définir la notion d’information, tant est étendu le spectre de ses usages et de ses significations possibles aujourd’hui. On pointera seulement ici quelques-uns des problèmes que pose l’extension considérable de la notion ».
Concrètement, les divers points de vue sur le système d’information résultent ainsi de la manière dont chacun dans l’organisation conçoit l’information et sa finalité.
Une des évidences que l’on peut constater dans les entreprises est que par exemple, les informations concernant la vie syndicale, l’information du personnel ne sont pas considérées comme faisant partie du système d’information, ce qui accrédite l’hypothèse que la référence est informatique.
Le système d’information est, pour beaucoup, quelque chose de quantifiable, technique, efficace, sérieux alors que pour eux, l’information est quelque chose de qualitatif, subjectif, flou, voire conflictuel. On a donc bâti jusqu’ici, toujours selon Mélèse (1979), plutôt des systèmes de données et l’auteur note qu’il faudrait aller vers une approche de système d’information qui se centre sur la notion de situation informationnelle.
Selon Mélèse, « il s’agit de caractériser l’unité comme un… des individus ; l’information est une composante du système socio-technique indissociable de l’organisation et de sa communication. Les interactions internes et externes à l’organisation sont porteuses d’informations.
Ne pas dissocier le système d’information du système socio-technique pris dans sa globalité et renoncer à connaître, saisir et codifier toute information semble être une piste, une nouvelle approche pour définir le système d’information : « le concept de système d’information désignerait alors l’ensemble interactif de toutes les situations informationnelles, autrement dit, le jeu complexe de tous les échanges d’information signifiante ».
Point de vue techniciste
Et pourtant, comme l’affirme Mélèse (1979), dans une entreprise, lorsqu’on « tente de repérer tout ce qui informe, tous les signaux, tous les messages, toutes les perceptions qui influent sur notre activité et notre comportement… et qu’on détermine ensuite la partie de l’information qui provient de ce qui est officiellement nommé système d’information puis, à l’intérieur de ce dernier, la part de ce qu’on appelle système informatique, une quantité appréciable d’information échappe au système d’information officiel et, encore bien plus, au système informatique ».
On se demande alors si, dans beaucoup de cas, voire dans certaines disciplines qui l’étudient (management, informatique..), le système d’information ne serait pas confondu avec le ou les systèmes informatiques tout court.
Dans la vision « informaticienne » d’un système d’information, on parle : bases de données de l’entreprise, applications métiers, infrastructure réseau, serveurs de données et systèmes de stockage, serveurs d’application, postes de travail informatiques, dispositifs de sécurité, etc. l’accent est donc mis en particulier sur le dispositif technique (matériel et logiciel).
On parle d’architecture des systèmes d’information dont la base principale est composée de l’ordinateur et du logiciel. Le traitement électronique de l’information sous sa forme numérisée a occulté toutes ses autres dimensions évoquées plus haut.
Ces diverses techniques ou fonctions de base (de saisie, stockage, traitement, communication) conduisent (malheureusement) à assimiler système d’information à système informatique.
Avec l’évolution rapide de ces techniques, on parle désormais de (nouvelles) technologies de l’information. Les systèmes d’information jusqu’alors organisés en systèmes fonctionnels (SI pour la gestion comptable et financière, SI pour la gestion de production, SI pour les RH) vont prendre une dimension interorganisationnelle (Reix, 2005), évoluant vers l’intégration. Cette recherche d’intégration conduit à parler de nos jours dans le lexique informatique « d’urbanisation.
Des nombreuses publications dans ce domaine (Volle et al, 2003,… » de système d’information à l’image de la ville dont les problèmes liés à son développement peuvent s’appliquer aux SI : encombrement, coûts de maintenance élevés, modernisation etc.
Globalement, en plus de l’architecture métier (structuration du SI par les activités métiers de l’entreprise), on distingue deux principales architectures :
une architecture applicative qui concerne la structuration des applications informatiques de l’entreprise ainsi que les messages échangés entre elles. Autrefois fédérées, ces applications sont désormais intégrées grâce (ou à cause) de l’urbanisation ;
une architecture qui est la structuration des moyens d’infrastructures techniques : serveurs, poste de travail et autres périphériques.
L’étude de cas du projet système d’information développée plus loin nous donnera plus d’éléments de cette vision techniciste du SI.
Une vision plus humaine et sociale
Néanmoins, l’étude de l’organisation dans ses liens avec la technologie n’est pas nouvelle et elle a fait l’objet d’une abondante littérature en sciences humaines et sociales.
L’introduction des technologies de l’information et de la communication a conduit à des profonds changements organisationnels.
La mise en œuvre des projets de « système d’information » – désigné par SI dans la suite – par l’introduction massive des TIC dans les entreprises est un objet régulièrement analysé en sciences de l’information et de la communication, notamment en communication des organisations (Bouzon et al, 2005).
En sciences de l’information et de la communication, certains auteurs.
Le Moigne, 1973 ; B. Guyot, 2004. tiennent toujours à rappeler que le système d’information n’est pas un système informatique (Roux, 2004). Pour Brigitte Guyot, « un système d’information n’est pas simplement un système technique de traitement de l’information.
Il mobilise avant tout un système social, des acteurs munis de compétences notamment cognitives, selon des normes organisationnelles et éventuellement techniques.
Un système d’information peut alors se voir comme une forme instituée, reconnue, correspondant à une organisation dévolue à la mise en mémoire ou à l’exploitation de l’information. Il gère des représentations qu’il formate, transforme et rend disponibles » (Guyot, 2004).
Le SI et les sciences de gestion
Une autre approche du système d’information (SI) est due aux sciences de gestion qui ont constitué un champ de recherche en leur sein (Rowe, 2002).
Les chercheurs de cette discipline se sont beaucoup plus intéressés à la contribution des SI dans l’amélioration de la performance de l’organisation.
On distingue un courant ingénierique dont la préoccupation est de construire un « bon système d’information » ; c’est un courant de recherche centré sur l’amélioration du processus de prise de décision en termes d’efficience, de satisfaction et d’efficacité.
Selon les auteurs, malgré la diversité des modèles utilisés (normatif, impact organisationnel), les niveaux d’analyse (individus, groupe, organisation, réseau, industrie), la multiplicité des mesures (efficacité, efficience, productivité, satisfaction, flexibilité etc.), « l’orientation générale demeure et positionne très clairement le champ des SI à l’intérieur des sciences de gestion ».
Cependant, ils admettent que l’objet initial de la recherche est l’information et que celle-ci doit être définie de manière indépendante de la technologie ; ce qui n’est pas le cas en sciences de gestion où la recherche en SI a été « continuellement poussée par l’innovation technologique ».
En sciences de gestion, l’émergence du champ de recherche sur les SI date du milieu des années 1960, avec plusieurs objets (technologie, information, connaissance).
Toujours selon Rowe, « le résultat actuel est une grande diversité apparente où l’image du champ ressemble plutôt à celle d’îlots de connaissance relativement isolés et non celle d’une construction solidement organisée autour d’un paradigme unificateur ».
Les auteurs clairement identifiés dans la discipline (Reix, 2005 ; Alter, 1999 ; Hirscheim et al., 1995 ; Mason et al., 1973) donnent des définitions diverses du SI. À cela, il faut ajouter la vision anglo-saxonne du système d’information (Ein-Dor et al., 1993) ou une vision (européenne) par le biais des individus (Getz, 1994).
Ainsi à côté de la définition de Jacques Mélèse qui considère le SI comme « un ensemble de signification », G. Davis, M. Olson, R. Ajenstat et J.L. Peaucelle l’identifient à un « système utilisateur-machine intégré qui produit l’information pour assister les êtres humains dans les fonctions d’exécution de gestion et de prise de décisions ».
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On peut donc caractériser le SI à travers sa dimension conceptuelle, technique ou pragmatique. Dans ces dimensions interfèrent des problématiques de contenu (les interactions au sein du système) et de contenant (appareillages technologiques).
Les sciences de gestion admettent en définitive que la nécessité d’une réflexion sur l’ontologie du système d’information doit conduire à une proposition de définition qui dépasse la discipline elle-même, et qui affirme l’essence humaine et sociale du SI : « un système d’information est un ensemble d’acteurs sociaux qui mémorisent et transforment des représentations via des technologies de l’information et des modes opératoires ».
La notion d’acteur social dans le SI indique qu’il agit et interagit avec d’autres acteurs, donc stratégiquement (Crozier et al., 1977).
Bilan
Il semble difficile de trouver une définition consensuelle du système d’information et nous préférons en guise de conclusion présenter les liens qui peuvent exister entre les différentes approches en nous inspirant de la synthèse de (Roux, 2004).
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