Peut-on soutenir, sans déformer la réalité ivoirienne qui me semble bien plus complexe, que le gouvernement ivoirien a fait le choix du néo-libéralisme débridé comme l’insinue le sociologue ivoirien Francis Akindès ?
Peut-on soutenir qu’en Côte d’Ivoire prévalent le retrait de l’Etat et la régulation exclusive de la main invisible du marché ?
Le gouvernement Ivoirien s’en est-il remis au marché pour résoudre les problématiques politiques en Côte d’Ivoire?
Peut-on dire que la régulation politique est oubliée au profit de la régulation économique?
Peut-on accuser le gouvernement ivoirien de faire l’impasse sur la politique, alors même qu’il se soucie de citoyenneté et de représentation parlementaire de la diversité sociale en Côte d’Ivoire, et qu’il met en œuvre des réformes pour améliorer l’efficience de la régulation politique de la cité ?
Sur ce registre le peuple ivoirien, en sa majorité, me semble avoir une lecture bien plus juste que les spécialistes. Les évènements de la semaine écoulée délivrent, de ce point de vue, une leçon dont il faut tenir compte dans les analyses de la problématique ivoirienne de la redistribution et de la justice sociale.
Revenu de l’expérience traumatique des années 1995 à 2011, et guidé par son sens-commun, le peuple majoritaire ivoirien semble avoir décidé de ne plus se laisser séduire par les illusions des politiques nationalistes.
La victoire écrasante de la coalition libérale RHDP aux élections sénatoriales véhicule deux messages : elle est marquée par la chute symbolique du courant identitaire du PDCI à Yamoussoukro et, elle est également marquée par la défiance, tout aussi symbolique, du peuple face à la manifestation anti Sénat et anti CEI de la plate-forme de l’opposition dite socialiste.
Le peuple ivoirien, en sa majorité, refuse ainsi la solution ethno-nationaliste et national-populiste. Il a fait l’option de la démocratie représentative.
Il pense que cette voie permet de résoudre politiquement le problème de l’inclusion sociale. Il en appelle à son perfectionnement urgent afin de résoudre l’équation investissement/redistribution.
La majorité du peuple ivoirien a donc renouvelé, par ces choix symboliques, sa confiance à l’égard des forces politiques qui incarnent cette solution démocratique en Côte d’Ivoire.
Cette victoire électorale exprime une option du bon sens commun qui perçoit, qu’en dépit de la faiblesse de la redistribution qui ne permet pas encore de remplir pleinement les assiettes, on se nourrit bel et bien « de ponts et de goudron » sans lesquels la redistribution devient tout simplement impossible.
Cette victoire électorale signifie aussi que le peuple ivoirien, en sa majorité, approuve la politique gouvernementale de reconstruction tout azimut des équipements publics et des infrastructures.
Ce choix populaire est un indice qui montre qu’aux yeux de la majorité des Ivoiriens, l’économie n’a pas abrogé la politique dans la gouvernance ivoirienne.
Il faut souligner en cela un décalage entre le peuple et une certaine lecture idéologique de la réalité ivoirienne.
Battant en brèche cette lecture idéologique, la gouvernance du RHDP semble démontrer qu’en Côte d’Ivoire, la démocratie n’est pas conçue par les pouvoirs publics ivoiriens comme un accompagnement, un simple support idéologique et politique de l’économie de marché.
Elle n’est pas réduite à sa forme procédurale. Elle est plutôt conçue comme une médiation politique permettant de résoudre institutionnellement les contradictions engendrées par l’économie de marché.
Dans le contexte de l’économie de marché, la problématique ivoirienne est d’affiner l’efficience des médiations institutionnelles démocratiques qui permettent d'arbitrer les conflits d'intérêts et de résoudre, de manière adéquate, l’équation investissement/redistribution.
Conscients des limites intrinsèques du marché, les démocrates ivoiriens de la société civile, de la société politique et de l’Etat, ont choisi de formuler et de traiter les demandes sociales avec les outils institutionnels du régime. Ils ont donc fait le choix de parier sur l’amélioration progressive continue de la démocratie et de ses outils institutionnels.
Leur objectif est d’approfondir l’efficience de la démocratie en travaillant à la séparation de ses sous-systèmes.
Ils aspirent à une amélioration des articulations institutionnelles qui permettent de médiatiser les intérêts et les valeurs, de servir le bien commun et de défendre l’intérêt général, de sauvegarder l’égalité et de lutter contre l’injustice sociale en garantissant la liberté.
C’est la voie qui permet de résoudre, dans tous les pays démocratiques, les problèmes de corruption et de népotisme.
Sur ce point précis, la réforme constitutionnelle et l’équilibre des pouvoirs au sein du parlement sont les indices sans équivoque de la dynamique de séparation des sous-systèmes en Côte d’Ivoire.
L’enjeu politique immédiat de la période 2018-2020 est d’approfondir le travail de séparation des sous-systèmes, d’équilibrage des pouvoirs et d’amélioration de la représentativité démocratique pour résoudre les problèmes de justice sociale et de redistribution en Côte d’Ivoire.
N’en déplaise donc aux antilibéraux et aux penseurs ivoiriens du soupçon, je crois, pour ma part, que le gouvernement ivoirien a fait le choix de la résolution politique, et non pas exclusivement économique, du problème de la justice sociale. (A suivre)
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