Gouvernance territoriale de la Casamance : le découpage administratif, un enjeu de pouvoir ou de développement ?
La région naturelle de la Casamance est un espace qui a fait l’objet de plusieurs morcellements et regroupements du temps de la colonisation à la période actuelle. Ces recompositions, loin d’être tous azimuts, dévoilent plutôt des stratégies de contrôle pour maîtriser et circonscrire les velléités de résistances et de dissidences.
L’évolution de la gouvernance de la Casamance et les multiples découpages et redécoupages de ce territoire suscitent aujourd’hui des interrogations par rapport à leur pertinence et à la viabilité des entités qui la composent.
De même, la concordance de certains de ses découpages administratifs anciens comme actuels avec la répartition des communautés ethniques est différemment appréciée et interpelle quant à la territorialisation identitaire ou « l’ethnicisation » du
territoire.
territoire.
Cette impertinence territoriale semble justifier l’actuel projet du nouveau gouvernement du Sénégal, dont le but est d’amorcer un retour vers un regroupement dans des ensembles territoriaux
plus cohérents.
plus cohérents.
Il est essentiellement question, dans cette étude, d’analyser les différentes gouvernances directement liées aux diverses mutations d’un même territoire.
Cette analyse se fera par une approche cartographique des différentes séquences chrono-spatiales de trois périodes : au temps desroyaumes, à la période coloniale et après l’indépendance du Sénégal.
Les différentes cartes produites laissent apparaître, des similitudes dans le temps, de la répartition dans l’espace des entités sociales, politiques et administratives.
Carte 1 : Région naturelle de la Casamance
2 – Approche méthodologie
Quelle que soit l’échelle où on se situe, l’aménagement du territoire doit avoir des impacts sur la gouvernance territoriale, sur les activités sociales et économiques d’un espace.
Ainsi, pour mieux circonscrire notre objet de recherche nous nous sommes proposés de partir d’une approche essentiellement spatiale pour analyser la pertinence et les enjeux de l’évolution cartographique de la Casamance.
La démarche méthodologique est adossée sur la reconstitution chronologique, historique et cartographique qui interpelle sur les enjeux de la profusion de nouveaux territoires dans la région naturelle de la Casamance.
Ces reconstitutions spatiales et temporelles confrontent à la fois les textes de lois, les documents historiques et administratifs qu’ils soient littéraux ou géographiques.
Elles appuient l’analyse de la gouvernance actuelle par des entretiens auprès d’acteurs institutionnels au niveau national, central et local (administration, et organismes d’appui à la décentralisation…), de même que de populations autochtones de la région d’étude.
La cartographie retracel’évolution de l’espace naturel de la Casamance depuis les royaumes jusqu’au découpage actuel ; elle a servi de base d’analyse de la cohérence territoriale, des enjeux de pouvoir et de la gouvernance des différentes séquences chrono-spatiales de la Casamance.
Résultats
L’évolution cartographique de l’espace de la Casamance semble suivre, dans les différentes périodes étudiées, les mêmes processus de recomposition comme si la gouvernance de son territoire était un éternel recommencement.
Les divers royaumes, malgré leur mobilité spatiale gardaient un ancrage ethnique. Cet héritage a souvent été perturbé et parfois consolidé par la gouvernance coloniale, marquée par son instabilité territoriale. Et depuis l’indépendance, le visage de la Casamance ne cesse de reprendre des contours déjà connus d’espaces vécus dans le passé.
Carte 2: La répartition ethnique de la Casamance en 1850
La première période d’occupation coloniale a été dominée par le compas et la règle, deux instruments qui ont guidé le morcellement de l’espace sénégambien, dicté les frontières des aires de dominations des colonisateurs et réglé la concurrence entre les conquérants (anglais,
portugais et français) qui se disputaient le territoire de la Casamance.
portugais et français) qui se disputaient le territoire de la Casamance.
L’incorporation tardive de toute la Casamance dans la colonie du Sénégal est finalisée et ratifiée par la convention franco-portugaise du 12 mai 1886 par un troc territorial lors duquel Ziguinchor est cédé à la
France en échange du Rio Kasini.
France en échange du Rio Kasini.
Les frontières des Colonies sont définitivement figées en Sénégambie. « La suprématie française dans la région est désormais établie en droit. La Casamance est délimitée. Il reste à l’administrer » (NGAÏDÉ, 2009 : 51).
La période de gloire de Sédhiou
De 1895 à 1899, toute la Casamance était administrée depuis Sédhiou comme un seul District. Scindée en deux cercles, Sédhiou et Karabane (carte 3 A). Elle passera ensuite, de 1899 à 1904, à un seul cercle, avec chef-lieu à Sédhiou.
A la recherche d’une nouvelle maîtrise des dissidences, elle sera à nouveau redécoupée en deux cercles en 1907, avec de nouvelles appellations : Basse et Haute Casamance, dirigées respectivement depuis Ziguinchor et Sédhiou (carte 3 B), puis, trois cercles en 1912 (Basse, Moyenne et Haute Casamance) avec Kolda comme Chef-lieu du dernier cercle (carte 3 C) (ROCHE, 1985; CHARPY, 1994).
Le démantèlement du cercle de Ziguinchor, la stratégie de diviser pour mieux régner.
Comme stratégie pour maîtriser ces peuples et anéantir leur résistance,plusieurs opérations militaires ont été menées avec comme objectif bombarder et incendier entièrement les villages les plus irréductibles pour servir d’exemple de répression : Séléki, Enampore,
Kamobeul et Banjal le seront en mai 1907, Susana, Kasalol et Keruheye en mars 1909, Yutu en 1909 (ROCHE, 1985).
Kamobeul et Banjal le seront en mai 1907, Susana, Kasalol et Keruheye en mars 1909, Yutu en 1909 (ROCHE, 1985).
Plusieurs résistants parmi les plus valeureux furent aussi tués : Fodé
Kaba en mars 1901 (ibid. : 295), Djignabo le 17 mai 1906 (ibid. : 286). Plusieurs villages commencèrent ainsi à payer l’impôt et une période de résignation s’installa progressivement dans toute la Casamance.
Kaba en mars 1901 (ibid. : 295), Djignabo le 17 mai 1906 (ibid. : 286). Plusieurs villages commencèrent ainsi à payer l’impôt et une période de résignation s’installa progressivement dans toute la Casamance.
Elle sera de courte durée avec le déclenchement de la grande guerre de 1914-1918 et les opérations de recrutement imposées par les français qui ont mis le feu aux poudres (CHARPY, 1994). De nouvelles insurrections ravivent les rébellions et résistances.
L’assassinat d’un douanier français à Séléky sera à l’origine du démantèlement territorial du cercle de Basse Casamance morcelé en trois cercles de 1917 à 1922 : Ziguinchor, Kamobeul et Bignona et toute la Casamance se retrouve morcelée en cinq cercles4(tableau 1).
Les cinq cercles sont par la suite réduits à quatre avec le rattachement de Kamobeul à Ziguinchor en fin 1922 (ROCHE, 1985). La dislocation du territoire souvent sur des bases ethniques a aussi permis d’opposer entre elles les populations locales dans une stratégie de diviser pour mieux régner (tableau 1).
Carte 4 : Carte des divisions administratives de la Casamance de 1944 à 1958
Les morcellements répétitifs des entités administratives témoignent d’une instabilité territoriale quasi permanente de 1895 à 1920, dévoilant une absence totale de maîtrise d’unespace hostile, difficilement pénétrable et d’une population insoumise et belliqueuse.
Avec les multiples remodelages du territoire, les nouveaux découpages, en rupture totale avec les réalités et le vécu des populations locales, devaient surtout permettre au colonisateur de mieux affaiblir, dominer et assujettir les populations.
Les communautés casamançaises, constituées d’une mosaïque de peuples, possédaient,malgré les différences de culture certaines, une similitude profonde. Elles étaient composéestraditionnellement de sociétés paysannes, égalitaires fondées sur une religion du terroir qui
les enracinait au sol (EHEMBA, 2011).
les enracinait au sol (EHEMBA, 2011).
Source : Atlas (1977) et Roche (1985)
Revue de géographie du laboratoire Leïdi – ISSN0051 – 2515 –N°11, décembre 2013
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