Une affaire qui "marche": le président de la Fondation de l'islam de France Jean-Pierre Chevènement a dressé jeudi, malgré les critiques, un bilan positif de cette structure dont l'objet laïque l'empêche de répondre à tous les défis de la lutte contre la radicalisation.
Été 2016: les pouvoirs publics annoncent une "nouvelle étape" dans le chantier de "l'islam de France", qui présente "un caractère d'urgence" dans un pays frappé par des attentats commis au nom de la deuxième religion de France.
Créée sur les décombres d'une structure mort-née en 2005, une fondation d'utilité publique est confiée à l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement. Le meccano doit être complété par une association cultuelle censée financer diverses actions en matière religieuse.
Mais "la montagne a accouché d'une souris", accusent un an plus tard trois sénateurs ayant mené une mission sur l'organisation de l'islam.
La Fondation de l'islam de France (FIF), dont le domaine d'intervention est profane puisque ses fonds sont en partie publics, a de fait peu communiqué sur ses premières actions, hormis un partenariat avec les modestes Scouts musulmans de France.
Pourtant, si l'association cultuelle n'a pas vu le jour, en raison des sempiternelles dissensions entre grandes fédérations musulmanes et mosquées, "la FIF, elle, est sur les rails", s'est réjoui jeudi Jean-Pierre Chevènement devant la presse.
La fondation a déjà mobilisé 70% des 900.000 euros disponibles sur trois ans (2017, 2018 et 2019) pour financer des projets, a précisé l'ancien ministre âgé de 78 ans.
L'idée est "très simple: nous faisons en sorte de combattre par la culture et par la connaissance l'idéologie salafiste primaire, fruste, brutale qui nourrit la violence jihadiste", fait-il valoir en prônant "l'émergence d'un islam cultivé".
Premier axe de travail: le soutien à la formation profane des futurs imams et aumôniers. La FIF a financé une centaine de bourses parmi les 450 étudiants inscrits dans les 18 diplômes universitaires (DU) de formation civile et civique qui existent désormais.
Elle a signé jeudi une convention avec le CNRS pour soutenir la recherche en islamologie fondamentale, à hauteur de plus de 200.000 euros jusqu'en 2020.
En outre, une cinquantaine de bourses ont été octroyées à de futurs imams pour qu'ils améliorent leur pratique du français. "Les prêches du vendredi doivent être faits en français même si la prière, c'est normal, est en arabe, la langue du Coran", souligne Jean-Pierre Chevènement.
Le propos a fait bondir l'imam réformateur Mohamed Bajrafil. "Le danger vient de ce qu'on associe à une langue, l'arabe en l'occurrence, la radicalisation. C'est faux et surtout inadmissible", a-t-il tweeté.
- "Sujet de financement" -
La FIF entend aussi développer un "campus numérique" composé de vidéos pour mieux faire connaître l'histoire et la pensée islamiques, mais aussi la laïcité et les valeurs de la République.
Ne faut-il pas d'abord promouvoir sur internet un contre-discours théologique face au succès de certains prédicateurs salafistes? "Ce n'est pas notre rôle, c'est un travail qui peut être fait par d'autres. Nous avons une ambition plus haute", répond Jean-Pierre Chevènement.
"Il faut avoir une offre adaptée aux populations, le risque c'est toujours de se faire plaisir", remarque l'essayiste Hakim El Karoui, membre du conseil d'orientation de la FIF. Une fondation qui selon lui "fait du bon boulot", même s'il s'interroge sur son "impact" et estime qu'"il y a un sujet de financement qui va se poser assez vite".
Demeure aussi le problème de l'association cultuelle. "Il faut qu'elle puisse voir le jour pour trouver des ressources et s'occuper de problèmes religieux qu'on ne peut pas laisser à d'autres, dont M. Chevènement", estime Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM).
L'ancien ministre ne se prive pas de faire des propositions qui excèdent son périmètre. Il souhaite ainsi la création d'une faculté de théologie musulmane à l'université - publique - de Strasbourg, ce qui est selon lui "parfaitement possible" dans cette ville qui n'est pas soumise à la loi de 1905 séparant les cultes et l’État.
En 2016, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, avait pourtant balayé cette piste qui nécessiterait "une réforme constitutionnelle hasardeuse".