Des motards sommés de faire demi-tour sous peine d'amende ou de se voir confisquer leur véhicule: une scène courante à Bangui où les moto-taxis viennent d'être interdits en centre-ville pour réduire accidents et entraves à la circulation.
Un essaim de moto-taxis en colère approche du PK0, un quartier du centre-ville de Bangui, barré par un groupe de policiers qui refoulent les motards avant de tirer en l'air avec leur Kalachnikov. Deux motards sont arrêtés.
Après avoir rechargé leurs armes, les policiers se rassemblent pour hisser deux motos dans leur pick-up, tandis que leurs collègues assènent quelques claques aux conducteurs qui ont tenté de forcer le passage.
"Les moto-taxis sont la source de plusieurs inconvénients majeurs", explique Ange Maxime Kazagui, porte-parole du gouvernement centrafricain qui a interdit la circulation et le stationnement des moto-taxis depuis le 17 juillet.
Il évoque le stationnement anarchique en dehors des points autorisés et le nombre élevé d'accidents de la route.
- 75% des urgences -
"Des enfants meurent tous les jours, et 70% des lits en traumatologie sont occupés par des accidentés de la route", déplore-t-il.
A l'hôpital Sica 1, géré par Médecins sans frontières (MSF), les accidentés de la route représentent 75% des entrées aux urgences depuis janvier, soit plus de 500 personnes par mois.
"J'allais à des obsèques vers Damara, une voiture est arrivée en face et on est tombé", raconte un patient, les yeux rivés sur sa jambe droite immobilisée, tuméfiée et striée d'une cicatrice laissée par la fracture ouverte.
S'il n'existe pas de statistiques sur la proportion de moto-taxis impliqués dans des accidents de la route, les motards sont les plus exposés et sont en outre victimes de l'hostilité des automobilistes.
"On accuse les moto-taxis de tout, que ce sont des bandits, des drogués. Mais parfois ce sont les automobilistes qui font du banditisme. Ils te cognent sur la route et ils disent que c'est de ta faute car tu n'as pas de papiers!", s'indigne un chauffeur de moto-taxi.
En Centrafrique, de nombreux propriétaires de motos ne possèdent pas de cartes grises, et leurs conducteurs, surnommés "clandestins", roulent parfois sans permis ni assurance.
Le manque à gagner équivaut à 75.000 francs CFA (114 euros) par moto pour l'Etat, qui ne peut chiffrer avec précision le nombre des "clandestins" qui dépassent cependant les 21.000 taxi-motos enregistrés et syndiqués à Bangui, selon plusieurs estimations.
L'interdiction pour les motos-taxis de circuler en centre-ville témoigne de la volonté de lutter contre l'économie informelle, et d'augmenter les recettes fiscales de l'Etat, selon plusieurs syndicats de transporteurs.
- Première mesure -
Cette interdiction est la première mesure d'un vaste projet de loi visant à régulariser la profession de moto-taxis, afin de "structurer la filière, en partenariat avec les ministères de la Santé, de la Sécurité et des Transports", explique Ange Maxime Kazagui.
Un projet similaire avait été annoncé en 2016, sans voir le jour.
"Pour nous, c'est une bonne initiative de la part de l'État que de faire payer aux taxi-motos leur taxe, nous avions dénoncé cette concurrence déloyale", se félicite John Peter Fall-Issaka, membre du SCRBT, un syndicat de conducteurs de taxis et bus.
Cette tentative de régularisation est également soutenue par certains syndicats de moto-taxis.
"Il n'y a pas de problème, on était averti de l'interdiction, ce sont juste les clandestins qui posent problème", affirme un représentant syndical.
"La régularisation des taxi-motos va juste leur amener plus d'adhérents et de cotisations", grince de son côté un "clandestin".
Il affirme ne pas avoir les moyens de payer les 75.000 FCF, ni la cotisation syndicale de 25.000 FCFA (28 euros), pas plus que les remboursements journaliers de 7.500 FCFA (11,4 euros) qu'il doit au propriétaire de la moto.
Dans un pays où le chômage des jeunes fait des ravages, le taxi-moto "clandestin" reste le seul moyen de vivre pour de nombreux Centrafricains désœuvrés sans ressources, estime le jeune homme.
"Grâce au taxi-moto, les vols et la criminalité ont diminué", pense cet habitant de Bangui, la capitale centrafricaine, relativement épargnée par les violences dans ce pays sous la coupe de groupes armés qui combattent pour le contrôle des ressources et de l'influence locale.